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Ernesto
Che Guevara

Che Guevara

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Freddy Malot – octobre 1997

Éditions de l’Évidence – 2010

2 montée de la Rochette, 69 300 Caluire

Sommaire

Ernesto Che Guevara

Muchos Vietnam !

Document – Historia n°613

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Ernesto
Che Guevara

1928-1967

Le Che traversait une crise. Il avait tant de désillusion. Il se posait tant de questions auxquelles il ne pouvait trouver de réponse.

Il dit : Cuba se trouve confronté à des problèmes insolubles.

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Quand Fidel Castro et ses hommes victorieux envahirent La Havane, Castro était fortement soutenu par les Américains.

Déjà quand les Barbus cubains combattaient dans les montagnes, Guevara avait dû faire des réserves sur les convictions sociales, la sincérité de l’idéal, des adjoints de Fidel Castro.

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Le Che dit : je suis déchiré entre la révolution et l’État cubain.

Nous avons nationalisé.

Nous avons trouvé des gens capables de diriger des entreprises nationalisées. Nous avons découvert qu’ils n’appartenaient pas au parti révolutionnaire, mais au parti “administrataire”.

Ils ont oublié leur ferveur révolutionnaire dans les bras de ravissantes secrétaires, dans leurs somptueuses voitures, avec leur privilèges et leur air conditionné. Ils se sont enfermés dans leurs bureaux pour y maintenir l’air frais, au lieu d’en ouvrir grand les portes au peuple du travail.

J’ai compris que l’État cubain favorisait l’opportunisme.

Peut-être pourrions-nous politiser les bureaucrates et les technocrates.

Les Russes voulaient acheter nos matières premières au prix fixé par l’impérialisme. Ils ont dit qu’ils étaient obligés de revendre à des prix compétitifs.

Je les ai questionnés sur les articles finis qu’ils nous vendaient. Je leur ai dit : avec l’automation, vous produisez ces articles à bon compte, pourtant vous nous les vendez au prix fixé par l’impérialisme.

Avec un tel système, nous sommes écrasés, il n’y a pas d’espoir pour nous.

Américains et Russes invoquent la paix dans le monde.

Je considère qu’actuellement nous n’avons pas la paix. C’est la paix à n’importe quel prix, une paix entre grandes puissances qui établissent un compromis entre elles.

Ce n’est pas la paix ; et nous ne devons pas la défendre.

Castro avait fait le Che ministre de l’Industrie. Mais celui-ci ne voulait pas exploiter des usines, affronter les technocrates et les bureaucrates.

Le Che dit : Je ne suis pas apte à faire ce que je fais, dans ce poste. J’ai songé à aller au Katanga, commander deux bataillons de cubains noirs. Mais je pense que cela serait nuisible, cela fournirait aux impérialistes l’occasion de dire qu’il n’y a pas de différence entre nous et les mercenaires. J’ai pensé aller combattre au Vietnam. Mais ma présence causerait trop d’ennuis à Cuba. Peut-être pourrions-nous créer d’autres Vietnam. Je désire qu’il y ait autant de Vietnam qu’il est possible d’imaginer.

Je suis prêt à faire n’importe quoi pour secouer l’ordre du monde actuel.

Je ne pense pas rester à Cuba. Je n’ai pas encore décider où aller. Je cherche un pays où je pourrais combattre pour la révolution mondiale et relever le défi de la mort. Tant de nos amis sont morts sur le chemin de la victoire !

Le Che partit finalement pour la Bolivie. Il y apporta l’étincelle, mais ne trouva pas le mélange explosif. Il fut trahi et tué.

Le Che disait : pendant la lutte armée à Cuba, nous n’avions pas de parti. Je suis communiste.

Au Mexique, le Che avait initié Raoul Castro au communisme, sans le dire à Fidel. Celui-ci découvrit la chose, et se mit en colère contre les deux.

Le Che dit : je suis déçu par le stalinisme, mais je n’accepte pas la réaction russe contre le stalinisme.

Le Che demande : suis-je réellement en désaccord avec Marx en disant qu’une révolution peut démarrer là où n’existe pas de prolétariat développé ? Lénine et Mao ont prouvé que cette thèse est erronée.

Le Che se demande : qu’est-ce qu’un communiste ?

Il déclare : j’avais prétendu qu’un communiste était celui qui est le dernier à manger, le premier à se lever le matin et le dernier à se coucher le soir ; mais en fait cela peut décrire un très bon travailleur seulement ; cela ne suffit pas pour être communiste.

Il dit encore : est-ce que seul un athée peut-être communiste ?

Le Che à Nasser, en 1965 et ensuite.

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Il y en a qui s’obstinent à confondre
Che Guevara avec un Régis Debray,
touriste informateur du salon de madame Mitterrand !

Le Che n’a rien de commun non plus
avec Bakounine, Trotsky, Tito, ou Yasser Arafat…

Guevara est un membre de la communauté des Saints. C’est le frère de Blanqui et Lamennais ; de Bolivar, San Martin, Postel et Riego ; d’O’Connor, Garibaldi, Mazzini, Kossuth ; d’Abdel Kader et Chamil ; de Mehmet Ali, le Bâb, et Hong siéou-tsuan ; de Langiewicz et Connoly ; de Lumumba, Camilio Torres et Malcolm X.

Freddy Malot – octobre 1997

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Muchos Vietnam !

Message du Che à la Tricontinentale – mai 1967

Portrait de Ernesto Che Guevara

“Créer deux, trois... de nombreux Vietnam,
voilà le mot d’ordre !”

Vingt et un ans se sont déjà écoulés depuis la fin du dernier conflit mondial, et diverses publications, dans un grand nombre de langues, célèbrent l’événement symbolisé par la défaite du japon. Il règne une atmosphère d’optimisme apparent dans de nombreux secteurs des camps dissemblables qui divisent le monde.

Vingt et un ans sans guerre mondiale, en ces temps de suprêmes affrontements, de chocs violents et de brusques changements, cela paraît bien long. Mais, sans analyser les résultats pratiques de cette paix pour laquelle nous sommes tous disposés à lutter (la misère, la déchéance, l’exploitation de plus en plus grande d’énormes secteurs du monde), il convient de se demander si cette paix est réelle.

Ces notes ne prétendent pas faire l’historique des divers conflits de caractère local qui se sont succédés depuis la reddition du japon ; notre tâche n’est pas non plus de dresser le lourd bilan croissant des luttes civiles qui se sont déroulées au cours de ces années de prétendue paix. Il nous suffit d’opposer à cet optimisme démesuré les exemples des guerres de Corée et du Vietnam.

Dans la première, après des années de lutte sauvage, la partie nord du pays a été l’objet de la dévastation la plus terrible des annales de la guerre moderne ; criblée de bombes ; sans usines, sans écoles et sans hôpitaux, sans aucun abri pour dix millions d’habitants.

Dans la guerre de Corée, sous le drapeau déloyal des Nations unies, sont intervenus des dizaines de pays sous la conduite militaire des États-Unis, avec la participation massive des soldats américains, et l’emploi de la population sud-coréenne enrôlée comme chair à canon.

Dans le camp adverse, l’armée et le peuple de Corée et les volontaires de la République populaire de Chine étaient ravitaillés et assistés par l’appareil militaire soviétique. Du côté américain, on s’est livré à toutes sortes d’essais d’armes de destruction : si les armes thermonucléaires ont été exclues, les armes bactériologiques et chimiques ont été utilisées à échelle réduite.

Au Vietnam se sont succédées des actions de guerre, menées presque sans interruption par les forces patriotiques, contre trois puissances impérialistes : le japon, dont la puissance devait subir une chute verticale après les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki ; la France, qui récupéra sur ce pays vaincu ses colonies indochinoises et ignora les promesses faites dans les moments difficiles ; et les États-Unis, à cette dernière étape de la lutte.

Sur tous les continents il y a eu des affrontements limités, encore que sur le continent américain il ne s’est produit pendant longtemps que des tentatives de lutte de libération et des coups d’État, jusqu’au moment où la Révolution cubaine sonna le clairon d’alarme sur l’importance de cette région et provoqua la rage des impérialistes, ce qui l’obligea à défendre ses côtes, d’abord à Playa Giron, et ensuite pendant la crise d’Octobre.

Ce dernier incident aurait pu provoquer une guerre aux proportions incalculables, à cause de l’affrontement entre Américains et Soviétiques à propos de Cuba.

Mais, évidemment, le foyer des concentrations, en ce moment, se trouve dans les territoires de la péninsule indochinoise et dans les pays voisins. Le Laos et le Vietnam sont secoués par des guerres civiles, qui cessent d’être telles dès l’instant où l’impérialisme américain est présent, avec toute sa puissance ; et toute la zone devient un dangereux détonateur prêt à exploser.

Au Vietnam, l’affrontement a pris une extrême acuité. Nous n’avons pas non plus l’intention de faire l’historique de cette guerre. Nous signalerons simplement quelques points de repère.

En 1954, après la défaite écrasante de Dien Bien Phû, on signa les accords de Genève, qui divisaient le pays en deux zones et stipulaient que des élections interviendraient dans les dix-huit mois pour décider qui devait gouverner le Vietnam et comment le pays se réunifierait. Les Américains ne signèrent pas ce document et commencèrent à manœuvrer pour remplacer l’empereur Bao Dai, fantoche français, par un homme répondant à leurs intentions. Ce fut Ngo Dinh Diem, dont tout le monde connaît la fin tragique – celle de l’orange pressée par l’impérialisme. L’optimisme régna dans le camp des forces populaires durant les mois qui suivirent la signature des accords de Genève. On démantela au sud du pays les dispositifs de la lutte anti-française et on s’attendait à l’exécution du pacte. Mais les patriotes ne tardèrent pas à comprendre qu’il n’y aurait pas d’élections à moins que les États-Unis se sentent à même d’imposer leur volonté aux urnes, ce qui ne pouvait pas se produire, même s’ils avaient recours à toutes les formes de fraude dont ils ont le secret.

Les luttes reprirent de nouveau au sud du pays, et devinrent de plus en plus intenses, jusqu’au moment actuel où l’armée américaine est composée de près d’un demi-million d’envahisseurs, tandis que les forces fantoches diminuent et perdent totalement leur combativité.

Il y a près de deux ans que les Américains ont commencé le bombardement systématique de la République démocratique du Vietnam dans une nouvelle tentative pour freiner la combativité du Sud et lui imposer une conférence à partir d’une position de force. Au début, les bombardements étaient plus ou moins isolés et prétextaient des représailles contre de prétendues provocations du Nord. Par la suite, ces bombardements augmentèrent d’intensité, devinrent méthodiques, jusqu’à se transformer en une gigantesque battue réalisée par les unités aériennes des États-Unis, jour après jour, dans le but de détruire tout vestige de civilisation dans la zone septentrionale du pays. C’est l’un des épisodes de la tristement célèbre escalade.

Les objectifs matériels du monde yankee ont été pour la plupart atteints malgré la résistance résolue des unités antiaériennes du Vietnam, malgré les 1700 avions abattus et malgré l’aide du camp socialiste en matériel de guerre.

Il y a une pénible réalité : le Vietnam, cette nation qui incarne les aspirations, les espérances de victoire de tout un monde oublié, est tragiquement seul.

La solidarité du monde progressiste avec le peuple du Vietnam ressemble à l’ironie amère que signifiait l’encouragement de la plèbe pour les gladiateurs du cirque romain. Il ne s’agit pas de souhaiter le succès à la victime de l’agression, mais de partager son sort, de l’accompagner dans la mort ou dans la victoire.

Si nous analysons la solitude vietnamienne, nous sommes saisis par l’angoisse de ce moment illogique de l’humanité.

L’impérialisme américain est coupable d’agression ; ses crimes sont immenses et s’étendent au monde entier. Cela, nous le savons, messieurs ! Mais ils sont aussi coupables ceux qui, à l’heure de la décision, ont hésité à faire du Vietnam une partie inviolable du territoire socialiste ; ils auraient effectivement couru les risques d’une guerre à l’échelle mondiale, mais ils auraient aussi obligé les impérialistes américains à se décider. Ils sont coupables ceux qui poursuivent une guerre d’insultes et de crocs-en-jambe, commencée il y a déjà longtemps par les représentants des deux plus grandes puissances du camp socialiste.

Posons la question pour obtenir une réponse honnête le Vietnam est-il oui ou non isolé, se livrant à des équilibres dangereux entre les deux puissances qui se querellent ?

Comme ce peuple est grand ! Comme il est stoïque et courageux ! Et quelle leçon sa lutte a représenté pour le monde !

Nous ne saurons pas avant longtemps si le président Johnson pensait sérieusement entreprendre certaines des réformes nécessaires à un peuple pour enlever leur acuité à des contradictions de classe qui se manifestent avec une force explosive et de plus en plus fréquemment. Ce qui est certain, c’est que les améliorations annoncées sous le titre pompeux de lutte pour la “grande société” sont tombées dans la bouche d’égout du Vietnam.

La plus grande puissance impérialiste éprouve dans ses entrailles la perte de sang provoquée par un pays pauvre et arriéré et sa fabuleuse économie se ressent de l’effort de guerre. Tuer cesse d’être le commerce le plus lucratif des monopoles. Tout ce que possèdent ces soldats merveilleux, en plus de l’amour de la patrie, de leur société et d’un courage à toute épreuve, ce sont des armes de défense, et encore en quantité insuffisante. Mais l’impérialisme s’enlise au Vietnam, il ne se trouve pas d’issue et cherche désespérément une voie qui lui permette d’éluder dignement le péril où il est pris. Mais les “Quatre Points” du Nord et les “Cinq Points” du Sud le tenaillent, et rendent l’affrontement encore plus décidé.

Tout semble indiquer que la paix, cette paix précaire à laquelle on n’a donné ce nom que parce qu’aucun conflit mondial ne s’est produit, est de nouveau en danger de se rompre contre une initiative irréversible, et inacceptable, prise par les Américains.

Et à nous, les exploités du monde, quel est le rôle qui nous revient ? Les peuples de trois continents observent et apprennent leur leçon au Vietnam. Puisque les impérialistes, avec la menace de la guerre, exercent leur chantage sur l’humanité, la réponse juste c’est de ne pas avoir peur de la guerre. Attaquer durement et sans interruption à chaque point de l’affrontement doit être la tactique générale des peuples.

Mais, là où cette paix misérable que nous subissons a été brisée, quelle sera notre tâche ? Nous libérer à n’importe quel prix.

Le panorama du monde offre une grande complexité. La tâche de la libération attend encore des pays de la vieille Europe, suffisamment développés pour ressentir toutes les contradictions du capitalisme, mais si faibles qu’ils ne peuvent pas suivre la voie de l’impérialisme ou s’y engager. Là les contradictions atteindront dans les prochaines années un caractère explosif, mais leurs problèmes – et par conséquent leur solution – sont différents de ceux de nos peuples dépendants et économiquement arriérés.

Le principal champ d’exploitation de l’impérialisme embrasse les trois continents arriérés : l’Amérique, l’Asie, et l’Afrique. Chaque pays a ses caractéristiques propres, mais les continents dans leur ensemble les présentent aussi.

L’Amérique constitue un ensemble plus ou moins homogène et dans presque tout son territoire les capitaux monopolistes américains maintiennent une primauté absolue. Les gouvernements fantoches, ou, dans le meilleur des cas, faibles et timorés, ne peuvent s’opposer aux ordres du maître yankee. Les Américains sont parvenus presque au faîte de leur domination politique et économique et ils ne pourraient guère avancer désormais ; mais n’importe quel changement dans la situation pourrait se changer en un recul de leur primauté. Leur politique est de conserver ce qu’ils ont conquis. La ligne d’action se limite actuellement à l’emploi brutal de la force pour étouffer les mouvements de libération, quels qu’ils soient.

Le slogan : “Nous ne permettrons pas un autre Cuba”, dissimule la possibilité de commettre impunément des agressions, comme celle perpétrée contre la République dominicaine, ou précédemment, le massacre de Panama, et le clair avertissement que les troupes yankees sont disposées à intervenir n’importe où en Amérique où l’ordre établi est troublé, mettant en péril les intérêts américains. Cette politique bénéficie d’une impunité presque absolue ; l’OEA, pour discréditée qu’elle soit, est un masque commode ; l’ONU est d’une inefficacité qui confine au ridicule et au tragique ; les armées de tous les pays d’Amérique sont prêtes à intervenir pour écraser leurs peuples. De fait, l’internationale du crime et de la trahison s’est constituée. Par ailleurs, les bourgeoisies nationales ne sont plus du tout capables de s’opposer à l’impérialisme – si elles l’ont jamais été – et elles forment maintenant son arrière-cour. Il n’y a plus d’autres changements à faire : ou révolution socialiste ou caricature de révolution.

L’Asie est un continent aux caractéristiques différentes. Les luttes de libération contre diverses puissances coloniales européennes ont entraîné l’établissement de gouvernements plus ou moins progressistes, dont l’évolution ultérieure a été, dans certains pays, l’approfondissement des objectifs premiers de la libération nationale, et dans d’autres le retour à des positions pro-impérialistes.

Du point de vue économique, les États-Unis avaient peu à perdre et beaucoup à gagner en Asie. Les changements les favorisent ; on lutte pour évincer d’autres puissances néo-coloniales, pour pénétrer dans de nouvelles sphères d’action sur le terrain économique, parfois directement, d’autres fois en utilisant le Japon.

Mais il existe des conditions politiques spéciales, surtout dans la péninsule indochinoise, qui donnent à l’Asie des caractéristiques d’une importance exceptionnelle et qui jouent un très grand rôle dans la stratégie militaire globale de l’impérialisme américain. Celui-ci étend autour de la Chine un cercle qui comprend au moins la Corée du Sud, le Japon, Taiwan, le Sud-Vietnam et la Thaïlande.

Cette double situation : un intérêt stratégique aussi important que l’encerclement militaire de la République populaire de Chine et l’ambition des capitaux yankees d’avoir accès à ses grands marchés qu’ils ne dominent pas encore, font que l’Asie est l’un des lieux les plus explosifs du monde actuel, malgré l’apparente stabilité qui règne en dehors de la zone vietnamienne.

Appartenant géographiquement à ce continent, mais avec des contradictions qui lui sont propres, le Moyen-Orient est en pleine ébullition, sans que l’on puisse prévoir les proportions que prendra cette guerre froide entre Israël, soutenu par les impérialistes, et les pays progressistes de la zone. C’est un autre des volcans qui menacent le monde.

L’Afrique offre les caractéristiques d’un terrain presque vierge pour l’invasion néo-coloniale. Il s’y est produit des changements qui, dans une certaine mesure, ont obligé les puissances néo-coloniales à céder leurs anciennes prérogatives de caractère absolu. Mais quand les processus se développent sans interruption, au colonialisme succède, sans violence, un néo-colonialisme dont les effets sont les mêmes en ce qui concerne la domination économique.

Les États-Unis n’ont pas de colonies sur ce continent et ils luttent maintenant pour pénétrer dans les anciennes chasses gardées de leurs partenaires. On peut assurer que l’Afrique constitue dans les plans stratégiques de l’impérialisme américain un réservoir à long terme ; ses investissements actuels ne sont importants qu’en Union sud-africaine et sa pénétration commence au Congo, au Nigeria, et dans d’autres pays, où s’amorce une concurrence violente (de caractère pacifique pour l’instant) avec d’autres puissances impérialistes.

L’impérialisme n’a pas encore de grands intérêts à défendre, sauf son prétendu droit à intervenir dans n’importe quel endroit du monde où ses monopoles flairent de bons profits ou la présence de grandes réserves de matières premières.

Toutes ces données justifient que l’on s’interroge sur les possibilités de libération des peuples, à court ou à moyen terme.

Si nous analysons l’Afrique, nous verrons qu’on lutte avec une certaine intensité dans les colonies portugaises de Guinée, du Mozambique et de l’Angola, avec un succès notable dans la première, un succès variable dans les deux autres. Qu’on assiste encore à la lutte entre les successeurs de Lumumba et les vieux complices de Tschombé au Congo, lutte qui semble pencher actuellement en faveur des derniers, qui ont “pacifié” à leur propre profit une grande partie du pays, si bien que la guerre y demeure latente.

En Rhodésie, le problème est différent : l’impérialisme britannique a utilisé tous les mécanismes à sa portée pour livrer le pouvoir à la minorité blanche qui le détient actuellement. Le conflit, du point de vue de l’Angleterre, n’est absolument pas officiel; avec son habileté diplomatique habituelle – appelée aussi clairement hypocrisie – cette puissance se contente de présenter une façade de réprobation face aux mesures prises par le gouvernement de Ian Smith ; son attitude rusée bénéficie de l’appui de certains pays du Commonwealth qui la suivent, et elle est attaquée par une bonne partie des pays de l’Afrique noire, qu’ils soient ou non de dociles vassaux de l’impérialisme anglais.

En Rhodésie, la situation peut devenir extraordinairement explosive si les efforts des patriotes noirs pour prendre les armes se cristallisent et si ce mouvement reçoit effectivement l’appui des nations africaines voisines. Mais pour le moment, tous ces problèmes sont discutés dans des organismes aussi inopérants que l’ONU, le Commonwealth ou l’OUA.

Néanmoins, l’évolution politique et sociale de l’Afrique ne laisse pas prévoir une situation révolutionnaire continentale. Les luttes de libération contre les Portugais doivent déboucher sur la victoire, mais le Portugal ne signifie rien sur la liste des employés de l’impérialisme. Les affrontements de portée révolutionnaire sont ceux qui mettent en échec tout l’appareil impérialiste. Mais nous ne devons pas pour autant cesser de lutter pour la libération de trois colonies portugaises et pour l’approfondissement de leurs révolutions.

Quand les masses noires de l’Afrique du Sud ou de la Rhodésie auront commencé leur authentique lutte révolutionnaire, une nouvelle époque aura commencé en Afrique ; ou quand les masses appauvries se lanceront à l’action pour arracher des mains des oligarchies gouvernantes leur droit à une vie digne.

Jusqu’à maintenant les coups d’État se succèdent, où un groupe d’officiers remplace un autre groupe ou un gouvernant qui ne servent plus leurs intérêts de caste ni ceux des puissances qui les manient sournoisement, mais il n’y a pas de convulsions populaires. Au Congo, le souvenir de Lumumba a animé ces mouvements caractéristiques qui ont perdu leur force au cours des derniers mois.

En Asie, comme nous l’avons vu, la situation est explosive, et les points de friction ne se trouvent pas seulement au Vietnam et au Laos où on lutte. Ils se trouvent également au Cambodge où l’agression américaine directe peut commencer à n’importe quel moment, de même qu’en Thaïlande, en Malaisie, et évidemment en Indonésie, où nous ne pouvons penser que le dernier mot ait été dit, malgré l’anéantissement du Parti communiste de ce pays quand les réactionnaires ont pris le pouvoir. Et il y a, bien sûr, le Moyen-Orient.

En Amérique latine, on lutte les armes à la main au Guatemala, en Colombie, au Venezuela et en Bolivie, et les premiers signes se manifestent déjà au Brésil. Il y a d’autres foyers de résistance qui surgissent et s’éteignent. Mais presque tous les pays de ce continent sont mûrs pour une pareille lutte, qui pour triompher exige pour le moins l’instauration d’un gouvernement de tendance socialiste.

Sur ce continent, on parle pratiquement une seule langue, sauf le cas exceptionnel du Brésil, dont le peuple peut être compris des peuples de langue espagnole, étant donné la similitude entre les deux langues. Il y a une identité si grande entre les classes de ces pays qu’ils parviennent à une identification de caractère “international américain”, beaucoup plus complète que sur d’autres continents. Langue, coutumes, religion, le même maître, sont les facteurs qui les unissent. Le degré et les formes d’exploitation sont identiques quant à leurs effets, tant pour les exploiteurs que pour les exploités de la plupart des pays de notre Amérique. Et la rébellion est en train de mûrir à un rythme accéléré.

Nous pouvons nous demander : cette rébellion, comment fructifiera-t-elle ? Quelle forme prendra-t-elle ? Nous soutenons depuis longtemps qu’étant donné les caractéristiques similaires, la lutte en Amérique atteindra, le moment venu, des dimensions continentales. L’Amérique sera le théâtre de grandes et nombreuses batailles livrées par l’humanité pour sa libération.

Dans le cadre de cette lutte de portée continentale, les luttes qui se poursuivent actuellement de façon active ne sont que des épisodes, mais elles ont déjà donné les martyrs qui auront leur place dans l’histoire américaine pour avoir donné leur quote-part de sang nécessaire à cette dernière étape de la lutte pour la pleine liberté de l’homme. Dans ce martyrologue figureront les noms du commandant Turcios Lima, du Père Camilo Torres, du commandant Fabricio Ojeda, des commandants Lobaton et Luis de la Puente Uceda, figures de premier plan des mouvements révolutionnaires du Guatemala, de Colombie, du Venezuela et du Pérou.

Mais la mobilisation active du peuple crée ses nouveaux dirigeants ; César Montes et Yon Sosa lèvent le drapeau au Guatemala ; Fabio Vasquez et Marulanda le font en Colombie ; Douglas Bravo à l’Ouest et Américo Martin dans les montages du Bachiller dirigent leurs fronts respectifs au Venezuela.

De nouveaux foyers de guerre surgiront dans ces pays-là et d’autres pays américains, comme c’est déjà le cas en Bolivie, et de plus en plus ils augmenteront, avec toutes les vicissitudes qu’implique ce métier dangereux de révolutionnaire moderne. Beaucoup mourront victimes de leurs erreurs, d’autres tomberont dans le dur combat qui s’approche ; de nouveaux combattants et de nouveaux dirigeants surgiront dans l’ardeur de la lutte révolutionnaire. Le peuple formera peu à peu ses combattants et ses guides dans le cadre de la guerre même, et les agents yankees de répression augmenteront. Aujourd’hui, il y a des conseillers dans tous les pays où se poursuit la lutte armée et l’armée péruvienne a réalisé, à ce qu’il paraît avec succès, une battue contre les révolutionnaires de ce pays, elle aussi conseillée et entraînée par les yankees. Mais si les foyers de guerre sont dirigés avec suffisamment d’intelligence politique et militaire, ils deviendront imbattables et exigeront de nouveaux envois de yankees. Au Pérou même, de nouvelles figures, pas encore connues, réorganisent la lutte de guérilla avec ténacité et fermeté. Peu à peu, les armes périmées qui suffisent à réprimer de petites bandes armées céderont la place à des armes modernes et les groupes de conseillers seront remplacés par des combattants américains, jusqu’à ce que, à un moment donné, ils se voient forcés d’envoyer des effectifs croissants de troupes régulières pour assurer la stabilité relative d’un pouvoir dont l’armée nationale fantoche se désintègre sous les coups des guérillas. C’est la voie prise par le Vietnam ; c’est le chemin que suivra l’Amérique, avec la particularité que les groupes en armes pourront former des conseils de coordination pour rendre plus difficile la tâche répressive de l’impérialisme yankee et faciliter leur propre cause.

L’Amérique, continent oublié par les dernières luttes politiques de libération, qui commence à se faire entendre à travers la Tricontinentale par la voix de l’avant-garde de ses peuples, qui est la Révolution cubaine, aura une tâche d’un relief beaucoup plus important : celle de créer le Deuxième ou le Troisième Vietnam du monde.

En définitive, il faut tenir compte du fait que l’impérialisme est un système mondial, stade suprême du capitalisme, et qu’il faut le battre dans un grand affrontement mondial. Le but stratégique de cette lutte doit être la destruction de l’impérialisme. Le rôle qui nous revient à nous, exploités et sous-développés du monde, c’est d’éliminer les bases de subsistance de l’impérialisme : nos pays opprimés, d’où ils tirent des capitaux, des matières premières, des techniciens et des ouvriers à bon marché et où ils exportent de nouveaux capitaux – des instruments de domination – des armes et toutes sortes d’articles, nous soumettant à une dépendance absolue.

L’élément fondamental de ce but stratégique sera alors la libération réelle des peuples ; libération qui se produira à travers la lutte armée, dans la majorité des cas, et qui prendra inéluctablement en Amérique la caractéristique d’une Révolution socialiste.

En envisageant la destruction de l’impérialisme, il convient d’identifier sa tête, qui n’est autre que les États-Unis d’Amérique.

Nous devons exécuter une tâche de caractère général, dont le but tactique est de tirer l’ennemi de son élément en l’obligeant à lutter dans les endroits où ses habitudes de vie se heurtent au milieu ambiant. Il ne faut pas sous-estimer l’adversaire ; le soldat américain a des capacités techniques et il est soutenu par des moyens d’une ampleur telle qu’il devient redoutable. Il lui manque essentiellement la motivation idéologique que possèdent à un très haut degré ses plus opiniâtres rivaux d’aujourd’hui : les soldats vietnamiens. Nous ne pourrons triompher de cette armée que dans la mesure où nous parviendrons à miner son moral. Et celui-ci sera miné à force d’infliger à cette armée des défaites et de lui causer des souffrances répétées.

Mais ce petit schéma de victoires implique de la part des peuples des sacrifices immenses, qui doivent être consentis dès aujourd’hui, au grand jour, et qui peut-être seront moins douloureux que ceux qu’ils auront à endurer si nous évitons constamment le combat, pour faire en sorte que ce soient d’autres qui tirent pour nous les marrons du feu.

Il est évident que le dernier pays qui se libérera le fera probablement sans lutte armée et que les souffrances d’une guerre longue et cruelle, comme celles que font les impérialistes, lui seront épargnées. Mais peut-être sera-t-il impossible d’éviter cette lutte ou ses conséquences, dans un conflit de caractère mondial où l’on souffre de manière égale, si ce n’est pas plus. Nous ne pouvons pas prévoir l’avenir, mais nous ne devons jamais céder à la lâche tentation d’être les porte-drapeau d’un peuple qui aspire à la liberté, mais se dérobe à la lutte qu’elle implique et attend la victoire comme une aumône.

Il est absolument juste d’éviter tout sacrifice inutile. C’est pourquoi il est si important de faire la lumière sur les possibilités effectives dont l’Amérique dépendante dispose pour se libérer par des moyens pacifiques. Pour nous, la réponse à cette interrogation est claire ; le moment actuel peut être ou ne pas être le moment indiqué pour déclencher la lutte, mais nous ne pouvons nous faire aucune illusion, ni nous n’en n’avons le droit, de conquérir la liberté sans combattre. Et les combats ne seront pas de simples combats de rue, de pierres contre les gaz lacrymogènes, ni des grèves générales pacifiques ; ce ne sera pas non plus la lutte d’un peuple en colère qui détruit en deux ou trois jours le dispositif de répression des oligarchies dirigeantes ; ce sera une longue lutte, sanglante, dont le front se trouvera dans les abris des guérillas, dans les villes, dans les maisons des combattants – où la répression cherchera des victimes faciles parmi leurs proches –, dans la population paysanne massacrée, dans les villes et les villages détruits par le bombardement ennemi.

On nous a acculés à cette lutte ; il ne nous reste pas d’autre ressource que de la préparer et de nous décider à l’entreprendre.

Les débuts ne seront pas faciles. Ils seront extrêmement difficiles. Toute la capacité de répression, toute la capacité de brutalité et de démagogie des oligarchies sera mise au service de cette cause. Notre mission, dans les premiers temps, sera de survivre, ensuite œuvrera l’exemple continuel de la guérilla, réalisant la propagande armée, selon l’acception vietnamienne du terme, autrement dit la propagande des coups de feu, des combats qui sont gagnés ou perdus, mais qui se livrent contre les ennemis. Le grand enseignement de l’invincibilité de la guérilla imprégnera les masses de dépossédés. La galvanisation de l’esprit national, la préparation à des tâches plus dures, pour résister à de plus violentes répressions. La haine comme facteur de lutte ; la haine intransigeante de l’ennemi, qui pousse au-delà des limites naturelles de l’être humain et en fait une efficace, violente, sélective et froide machine à tuer. Nos soldats doivent être ainsi ; un peuple sans haine ne peut triompher d’un ennemi brutal.

Il faut mener la guerre jusqu’où l’ennemi la mène : chez lui, dans ses lieux d’amusements ; il faut la faire totalement. Il faut l’empêcher d’avoir une minute de tranquillité, une minute de calme hors de ses casernes, et même dedans ; il faut l’attaquer là où il se trouve ; qu’il ait la sensation d’être une bête traquée partout où il passe. Alors il perdra peu à peu son moral. Il deviendra plus bestial encore, mais on notera chez lui des signes de défaillance.

Et il faut développer un véritable internationalisme prolétarien ; avec des armées prolétariennes internationales, où le drapeau sous lequel on lutte devient la cause sacrée de la rédemption de l’humanité, de telle sorte que mourir sous les couleurs du Vietnam, du Venezuela, du Guatemala, du Laos, de la Guinée, de la Colombie, de la Bolivie, du Brésil, pour ne citer que les théâtres actuels de la lutte armée, soit également glorieux et désirable pour un Américain, un Asiatique, un Africain, et même un Européen.

Chaque goutte de sang versée sur un territoire sous le drapeau duquel on n’est pas né est une expérience que recueille celui qui y survit pour l’appliquer ensuite à la lutte pour la libération de son lieu d’origine. Et chaque peuple qui se libère est une étape gagnée de la bataille pour la libération d’un autre peuple.

C’est l’heure de modérer nos divergences et de tout mettre au service de la lutte.

Que de grands débats agitent le monde qui lutte pour la liberté, nous le savons tous, et tous ne pouvons le dissimuler. Que ces discussions aient atteint un caractère et une acuité tels que le dialogue et la conciliation semblent extrêmement difficiles, sinon impossibles, nous le savons aussi. Chercher des méthodes pour entamer un dialogue que les adversaires éludent, c’est une tâche inutile. Mais l’ennemi est là, il frappe tous les jours et il nous menace avec de nouveaux coups et ces coups nous uniront aujourd’hui, demain ou après-demain. Ceux qui en sentent la nécessité et se préparent à cette union nécessaire seront l’objet de la reconnaissance des peuples.

Étant donné la virulence et l’intransigeance avec lesquelles on défend chaque cause, nous autres, les dépossédés, nous ne pouvons prendre parti pour l’une ou l’autre forme d’expression des divergences, même quand nous sommes d’accord avec certaines positions de l’une ou l’autre partie, ou avec les positions d’une partie plus qu’avec celles de l’autre. Au moment de la lutte, la forme que prennent les divergences actuelles constitue une faiblesse ; mais dans l’état où elles se trouvent, vouloir les régler avec des mots est une illusion. L’histoire peu à peu les effacera ou leur donnera leur véritable sens.

Dans notre monde en lutte, toute divergence touchant la tactique, les méthodes d’action pour obtenir des objectifs limités, doit être analysée avec le respect dû aux appréciations d’autrui. Quant au grand objectif stratégique, la destruction totale de l’impérialisme au moyen de la lutte, nous devons être intransigeants.

Résumons ainsi nos aspirations à la victoire : destruction de l’impérialisme par l’élimination de son bastion le plus fort : la domination impérialiste des États-Unis d’Amérique du Nord. Adopter pour mission tactique la libération graduelle des peuples, un par un ou par groupes, en obligeant l’ennemi à soutenir une lutte difficile sur un terrain qui n’est pas le sien, en liquidant ses bases de subsistance qui sont ses territoires dépendants.

Cela veut dire une guerre longue. Et, nous le répétons une fois de plus, une guerre cruelle. Que personne ne se trompe au moment de la déclencher et que personne n’hésite à la déclencher par crainte des conséquences qu’elle peut entraîner pour son peuple. C’est presque la seule espérance de victoire.

Nous ne pouvons pas rester sourds à l’appel du moment. Le Vietnam nous l’apprend avec sa leçon permanente d’héroïsme, sa leçon tragique et quotidienne de lutte et de mort pour remporter la victoire finale.

Au Vietnam, les soldats de l’impérialisme connaissent les incommodités de celui qui, habitué au niveau de vie qu’affiche la nation américaine, doit affronter une terre hostile ; l’insécurité de celui qui ne peut faire un pas sans sentir qu’il foule un territoire ennemi ; la mort de ceux qui s’avancent au-delà de leurs redoutes fortifiées ; l’hostilité permanente de toute la population. Tout ceci a des répercussions dans la vie interne des États-Unis, et fait surgir un facteur qu’atténue l’impérialisme lorsqu’il est en pleine vigueur : la lutte des classes sur son territoire même.

Comme nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux, si deux, trois, plusieurs Vietnam fleurissaient sur la surface du globe, avec leur part de morts et d’immenses tragédies, avec leur héroïsme quotidien, avec leurs coups répétés assénés à l’impérialisme, avec pour celui-ci l’obligation de disperser ses forces, sous les assauts de la haine croissante des peuples du monde !

Et si nous étions tous capables de nous unir, pour porter des coups plus solides et plus sûrs, pour que l’aide sous toutes les formes aux peuples en lutte soit encore plus effective, comme l’avenir serait grand et proche !

S’il nous revient, à nous qui en un petit point de la carte du monde accomplissons le devoir que nous préconisons et mettons au service de la lutte ce peu qu’il nous est permis de donner, nos vies, notre sacrifice, de rendre un de ces jours le dernier soupir sur n’importe quelle terre, désormais nôtre, arrosée par notre sang, sachez que nous avons mesuré la portée de nos actes et que nous ne nous considérons que comme des éléments de la grande armée du prolétariat, mais que nous nous sentons fiers d’avoir appris de la Révolution cubaine et de son dirigeant suprême la grande leçon qui émane de son attitude dans cette partie du monde : “Qu’importent les dangers ou les sacrifices d’un homme ou d’un peuple, quand ce qui est en jeu c’est le destin de l’humanité.”

Toute notre action est un cri de guerre contre l’impérialisme et un appel vibrant à l’unité des peuples contre le grand ennemi du genre humain : les États-Unis d’Amérique du Nord. Qu’importe où nous surprendra la mort ; qu’elle soit la bienvenue pourvu que notre cri de guerre soit entendu, qu’une autre main se tende pour empoigner nos armes, et que d’autres hommes se lèvent pour entonner les chants funèbres dans le crépitement des mitrailleuses et des nouveaux cris de guerre et de victoire.

Ernesto Che Guevara à la Tricontinentale – mai 1967

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Document – Historia n°613

(Propos du Bandit Clostermann.)

“Che” Guevara

(Révolutionnaire argentin, leader de la révolution cubaine, éliminé en Bolivie en 1967).

– En 1964, je suis invité par Ben Bella à assister au symposium économique des pays non-alignés à Alger. Un chef FLN, Krim Belkacem, que j’avais connu en 1960 au Maroc chez le futur roi Hassan II, me fait prendre à l’aéroport d’Alger. Arrivée dans l’amphithéâtre où a lieu la conférence. Un barbudo harangue les participants en espagnol. C’est Guevara. Tout à coup, quatre zèbres entrent dans la salle. Leurs costumes gris mal taillés ne trompent pas : ce sont des soviétiques. Aussitôt, Guevara cesse d’insulter les Américains pour s’en prendre aux Russes, ces faux frères qui font alliance avec l’impérialisme. En bon latino, il insulte leurs femmes jusqu’à la septième génération !

Le soir, dîner chez Krim Belkacem. Je me trouve à côté du “Che”. Il m’affirme qu’à l’académie de médecine, son prof de français lui faisait lire Le Grand Cirque. La soirée se termine à 4 heures du matin sous une tonnelle de l’hôtel Saint-George. Le “Che” était un vrai révolutionnaire, à la sud-américaine, attaché à la dignité humaine. Vous savez, le métier de révolutionnaire a été gâché en Amérique du Sud par les Américains et par les Communistes. Guevara était de la trempe des Zapata (Leader paysan révolutionnaire mexicain), Prestes (officier communiste brésilien chef d’une insurrection paysanne en 1924-1926), Sandino (“Général des hommes libres” au Nicaragua dans les années 30). Des gens que les Américains traitaient de communistes parce que c’est plus fort qu’eux, il faut qu’ils taxent de communisme tous ceux qui leur tiennent tête.

Régis Debray [1]

(Intellectuel français, capturé en 1967 en Bolivie où il avait rejoint le maquis de “Che” Guevara).

– Pour moi, cette histoire a commencé par un coup de téléphone de Dominique Ponchardier (vieux baroudeur gaulliste alors ambassadeur de France en Bolivie). Il m’a dit que le président bolivien, le Général Barrientos, lui-même pilote, avait deux idoles, le “Baron rouge” (Manfred von Richthofen, l’as de la chasse allemande en 1914-1918), et moi-même. Bref, que le Général de Gaulle me demandait d’utiliser l’influence que je pouvais avoir sur Barrientos en faveur de Régis Debray (il était le fils de la vice-présidente gaulliste du conseil municipal de Paris, Janine Alexandre-Debray). Debray risquait d’être exécuté. Je pars là-bas. Barrientos me reçoit très amicalement. On parle aviation. J’apprends qu’il a lui-même piloté un des trois T-6 qui ont bombardé une ferme servant de base arrière à la guérilla.

C’était un drôle de bonhomme, indien par sa mère, mineur par son père. Mauvaise idée celle de lancer une guérilla dans ce pays dirigé par un militaire de gauche. En 1952, au moment de la grève des mineurs, Barrientos avait fait mettre crosse en l’air à un bataillon entier !

On sympathise. Pour me prouver sa bonne foi, il me présente les officiers qui ont interrogé Debray. Ils me racontaient ça et, dans la pièce d’à côté, la CIA enregistrait tout. Debray n’a pas été torturé mais tout de même bien bousculé. L’un d’entre eux, un colonel, s’était fracturé la main en décochant à Debray un coup de poing que celui-ci – heureusement pour lui – avait évité de justesse. J’ai d’abord été persuadé que Debray avait parlé, que la chute de Guevara, c’était lui. Mais en relisant mes notes tranquillement, j’ai compris que non. Hilda, la femme du Che”, se trompe quand elle l’accuse. En fait, les Américains avaient mis un tel paquet pour localiser le “Che” qu’ils disposaient d’une foule de renseignements. Debray a peut-être été imprudent, mais il n’a pas parlé.

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[1] “Conseiller spécial” de Mitterrand… (Avec Touvier, etc. !)





Avertissement :

Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :

"Les murs ont des oreilles...".