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La Mère Fondamentale

Isis et Osiris, couple d’enfants émanés de la Mère-secrète

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Freddy Malot – septembre 1999

 

Éditions de l’Évidence – 2010

2 montée de la Rochette, 69 300 Caluire

Sommaire

La Mère Fondamentale

Deux Humanités

Deux Substances

I

II

III

IV

V

VI

Matière

Mère

Monde

Humanité

Parenté

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En couverture (illustration de l’édition) : Isis et Osiris, couple d’enfants émanés de la Mère-secrète.

Deux Humanités

Avant le Père Suprême, il y eut la Mère Fondamentale, de la même manière qu’avant la Cité Civilisée, il y eut la Communauté Primitive.

C’est en s’appuyant solidement sur ce fait général déterminant qu’on peut espérer comprendre quelque chose de l’histoire de l’humanité, ce qui nous intéresse évidemment au plus haut point. Se faire une idée correcte du passé est indispensable pour aborder convenablement les problèmes du présent, et pour envisager clairement la solution de l’avenir. À ce propos, il apparaît aujourd’hui que le vieux marxisme (communisme) ne faisait pas vraiment l’affaire.

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Qu’on le veuille ou non, ce que nous désignons par le mot “Dieu” se rapporte au Père civilisé. Pour ne pas tout embrouiller, il vaut mieux abandonner complètement ce terme quand il s’agit de la Mère primitive. On pourrait dire “la” Dieu ou la Déesse, mais cela ne tranche pas suffisamment dans l’état actuel des consciences. Avec de telles appellations, on est conduit spontanément à imaginer chez les primitifs une Mère “Suprême” en lieu et place du Père Suprême. Il ne s’agit pas du tout de cela, puisque les primitifs avaient une Mère “Fondamentale”, ce qui change tout, et ce qu’il nous appartient de préciser.

Attachons-nous donc à ce fait : nous eûmes une Mère d’abord, et un Père ensuite. Ceci met de côté tout le fatras dominant plus ou moins érudit ou folklorique, étalé dans nos “histoires des religions”, qui ne contribue qu’à nous cadenasser dans la nuit spirituelle. À quoi sert de jaser à propos d’un “monothéisme originel”, auquel d’autres opposent des hordes de primitifs sans-Dieu ? Ensuite, on nous entraîne à la foire des ethnologues, sorte de marché aux puces des Expositions Coloniales où l’on découvre l’animisme, le totémisme, le fétichisme, la “religion naturaliste”, et j’en passe (mana, chamans... ). Ensuite, on nous sert une pseudo-histoire religieuse, qui part d’une vague crainte des “forces naturelles”, pour aboutir à l’apologie de l’agnosticisme païen actuel. Dans cette optique, tout le développement spirituel de l’humanité est l’histoire d’une Grande Superstition assaillie obstinément par la “Science”, ce qui force Dieu à s’abstraire et se concentrer toujours plus, jusqu’à ce qu’il laisse la place à la sage Religion du Doute des pontifes de la Laïcité. Ainsi voit-on défiler, après la Grande-Peur-du-Milieu ambiant hostile, ou Hénothéisme, le culte des Ancêtres, le “kathénothéisme” (plusieurs dieux), le Polythéisme (multitude de dieux), le Panthéisme et enfin le monothéisme (révélé) puis le Déisme (entendu comme religion sans révélation !). Alors on nous expose la dernière bataille mentale livrée par l’humanité : c’est la Religion écrasée par la “Philosophie”.

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Un mot sur ces prétendus “philosophes”. En auront un avant-goût ceux dont le palais peut supporter la ratatouille intellectuelle du ménage Badinter, Garde des Sceaux de Miltruand. L’idole de ces “penseurs” de la République Policière est un certain Marie-Jean Caritat, marquis de Condorcet, fils de capitaine de cavalerie (1743-1794). Monsieur le marquis, “illustre philosophe et mathématicien”, débute dans le monde avec des protections actives, dont celle de son parent le duc de la Rochefoucauld, et l’autre duc et pair Luxembourg. Le banquier suisse Clavière fera partie de la bande. Effectivement, tout va bien pour le sieur Condorcet sous la monarchie à l’agonie de Louis Capet : il est fait Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences en 1773, et complète sa gloire par l’entrée à l’Académie Française en 1782. Marat révèlera en 1791 que Condorcet vendait sa femme aux plus offrants pour toucher des rentes ; quant à l’illustre académicien, il lui donne un nouveau titre : “faquin littéraire” ! Voici comment notre “idole” à nous, Marat, juge l’Académie en général : “Confrérie d’hommes médiocres, croyant tout savoir et hors d’état de rien approfondir, attachés aux anciennes opinions et brouillés avec le bon sens, apôtres du mensonge, curieux de distinctions et passionnés pour l’or”.

Robespierre, à son tour, sera amené à stigmatiser l’anguille laïco-démocratique typique que fut Condorcet : il fut d’abord animateur d’un club semi-aristocratique : la “Société de 89” afin d’enrayer le mouvement pour la Liberté ; puis, les choses se gâtant, il verse dans la tactique opposée, se dit pour la République en juillet 91, pour “jeter la division parmi les patriotes, reculant peut-être ainsi la République pour un demi-siècle”, mais dans l’immédiat réussissant à provoquer la fusillade du Champs-de-Mars... J’ajoute qu’en 89, la clique de Condorcet fit des pieds et des mains pour empêcher que fut proclamée une Déclaration des Droits !

Dès 1770, nos Académiciens avaient fondé la loge des “Neuf Sœurs” : Lalande, Destutt de Tracy, Cabanis, Mirabeau, Mme Helvétius, Franklin, Lafayette, Condorcet.. Le grand-maître Franklin fit qu’on nomma ce groupe de politiciens les “américains”. C’est ces messieurs que Bonaparte devra encore combattre sous le nom d’“Idéologues”.

La France, après Turgot (1776), se trouva en état de banqueroute imminente. Alors, le clan Condorcet sera de toutes les combines ministérielles dont nous avons l’expérience, visant à “réformer pour empêcher que ça change”. En 1787, la faction Condorcet exulte avec la formation du gouvernement Brienne-Malesherbes et Cie. On voit à quel point ces gens sont liés au peuple ! D’ailleurs, on peut définir la devise politique de Condorcet en reprenant ses propres déclarations : “N’ayons point sur les affaires d’opinions arrêtées ; le malheur est d’attacher une idée de patriotisme à être du parti de l’opposition”. La meilleure est la suivante : “J’ai des amis dans le parti contraire, à qui je pourrais faire de la peine”... c’est pourquoi j’écris des articles anonymes... C’est pas Marat !

Quelles sont donc les idées de l’Idéologue Condorcet ? Laissons monsieur le Ministre Badinter nous en donner un aperçu : “Aux yeux de Condorcet, contrairement à Rousseau, ce n’est pas la Volonté générale qui est le moteur du Progrès, mais la Raison. Et le Progrès n’est pas une Espérance ; il est la loi de l’Histoire. C’est au Politique d’être l’accoucheur de la société gouvernée par la Raison, qui assurera à tout homme ses chances de bonheur. Cent ans avant Durkheim, Condorcet affirme qu’on doit étudier la société humaine comme on étudie celle des castors. Il y a 200 ans, il perçoit déjà l’usage politique et social des statistiques et du calcul des probabilités. Aux yeux de Condorcet, c’est Locke qui est le véritable fondateur de la philosophie moderne”.

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Commentaire :

Attention, nous avons affaire à des caméléons politiques ; ceux que les Jacobins nommaient à juste titre le Marais. Ces gens sont incomparablement plus nuisibles que les braillards d’extrême-gauche. Toute l’expérience acquise prouve que ces faux-amis du peuple ont fait le plus grand mal, depuis les Pharisiens du temps de Jésus-Christ jusqu’aux Mencheviks du temps de Lénine. Voyez-vous, ces beaux messieurs sont “pour” la Révolution... jusqu’à ce qu’elle arrive ! Ce sont des as pour “prendre le train en marche” et se livrer alors à toutes les contorsions imaginables pour que le train sorte de ses rails, en apparaissant comme ayant toujours “les mains propres”. Voyez-vous, ces messieurs “collent au mouvement” à tout prix, spéculent sur son échec, en “condamnent les excès”, et s’érigent en “purs” révolutionnaires après l’orage populaire. Dans la Grande Révolution, on suit leur trace, des Feuillants aux Fripons, et de ceux-ci aux Thermidoriens. Et à Condorcet, “Girondin sans l’être”, succédera Benjamin Constant.

L’illustre marquis méprisant Rousseau, lequel n’a de succès qu’auprès des “illettrés”, de la masse et des femmes, cherche à offrir aux “gens qui comptent” une application des mathématiques à la science sociale. En 1784, il propose une “Arithmétique Politique” ; en 1787, il peaufine, ce sera une “Mathématique Sociale”. Avec cela, il estime que les Ci-devants se trouvent armés de pied en cap, et que les tyrans au bord du gouffre se trouvent dotés d’un programme : “L’homme perfectionné par la société”. N’est-il pas vrai que le Politicien doit orchestrer le Progrès de la barbarie ? Avec la Statistique et le Fichage institutionnel, nous serons enfin débarrassés de l’Idéal populaire, de l’Espérance “métaphysique” ; nous avons désormais le moyen de river la Masse dans le “concret”, dans la loi de l’histoire policière ; la gestion des foules de “castors” par l’I.N.S.E.E. est au point..

Condorcet dit (Tableau des Progrès) : “L’imagination de Descartes l’avait écarté de la route de la raison qu’il avait tracée. Enfin Locke osa fixer les bornes de l’intelligence humaine”. Ceci nous donne un exemple-type de la canaillerie des apôtres de la Raison et du Progrès. Il faut bien que ces misérables se couvrent de quelques grands noms ; Locke qui vécut 100 ans avant 1789, fera l’affaire sans difficulté ! Il se trouve cependant que Locke, tout comme Descartes, est résolument spiritualiste, alors que notre marquis est un vil Libre-penseur (le filou Badinter dit : Athée !). Mais ce sont là des différences négligeables pour les illustres lettrés ! Ce qui importe, c’est que Locke porta l’Empirisme spiritualiste à sa perfection historique ; par ce côté empiriste, la clique Condorcet a le moyen de brouiller les cartes, de lancer sa camelote du “calcul des probabilités”.

Locke représente à lui seul la grande époque des Whigs anglais et de la Maçonnerie spiritualiste (1685-1760). L’élément le plus important de cette Maçonnerie était la foi jurée en l’existence de l’Être Suprême. Lors de l’initiation de l’Apprenti-maçon, le Maître pose la question : “En qui placez-vous votre confiance ?” ; la réponse doit être : “En Dieu”. Quand le Maître-maçon lui-même prête serment, il déclare : “Je m’engage à ne pas prendre part à l’initiation d’un simple d’esprit, d’un fou, d’un athée ou d’un libertin irréligieux”. L’équerre et le compas sont, chez les maçons, le symbole des outils moraux dont la “pierre brute” qu’est le nouvel initié doit s’emparer pour tailler et polir sa personnalité, en faire la “pierre parfaite” digne de prendre place dans la construction du temple de Dieu. Nous voilà loin du sieur Condorcet !

En 1760, Condorcet a 17 ans, et la Maçonnerie anglaise se trouve distancée comme avant-garde par le Déisme proprement dit des Encyclopédistes. Quand se produit le coup de tonnerre de 1789, chez les anglais, Edmund Burke entre en guerre contre les Lumières du continent, en brandissant le drapeau de Locke, celui de la révolution anglaise de 1689. Voilà éclairci le mystère de la référence de Condorcet à Locke. Il en va toujours ainsi : quand survint le Socialisme Utopique, on se leva pour l’écraser au nom... des Grands Principes de 89 !!!

Que de leçons nous avons à tirer du roman positiviste selon lequel le Progrès s’achève avec la victoire de la “Philosophie” sur la Religion... Depuis 1688, 1789 et 1848, de l’eau a coulé sous les ponts. Avec Jaurès et Léon Blum, on put se donner comme socialiste Marxiste et le meilleur rempart de la Barbarie dominante. Avec Thorez, on eut un Communiste vice-président du Conseil avec le même but, et à présent trois ministres “communistes” sont nommés par le Président de la République appartenant au parti du “pouvoir personnel” gaulliste ! C’est le “Progrès”...

Il n’y eut jamais et il ne saurait jamais y avoir de “philosophes” triomphant de Dieu. Ceci pour la bonne raison que ce que les Anciens nommaient Philosophie Première n’était que ce qu’on connut plus tard sous le nom de Théologie, ou Science de Dieu. Quant à ce que les Modernes nommèrent philosophie, ce n’était essentiellement qu’un synonyme de la Métaphysique, c’est-à-dire encore la Science de Dieu. Tout le cinéma se rapportant à une “philosophie” menant la guerre à la “métaphysique” est de création récente, n’appartient qu’au spiritualisme dégénéré, au Paganisme Intégral dominant depuis 1845. Or, la guerre menée à Dieu depuis cette date par messieurs Comte et Proudhon, si elle est certainement le règne du Diable, n’est en aucune façon le dépassement, l’abolition de Dieu !

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Revenons à nos moutons.

Le Père Suprême des civilisés n’est pas tombé du ciel ; il est sorti du ventre de la Mère Fondamentale des primitifs.

De la même façon qu’il est préférable de réserver le mot “Dieu” pour désigner le Père Suprême, si on ne veut pas tout mélanger et perdre les pédales, il vaut mieux parler de Religion exclusivement pour la mentalité théorique des civilisés. Je choisis, pour parler de la croyance en la Mère Fondamentale, le mot Superstition pour bien trancher avec la Religion. Je ne donne à ce mot Superstition aucune valeur péjorative ; il ne fait que souligner le caractère spontané de la croyance primitive.

Il n’est pas du tout suffisant de distinguer la croyance à la Mère et celle au Père, la Superstition et la Religion. Ce qui importe le plus c’est de comprendre que ces deux mentalités théoriques sont directement inverses, comme le furent la Communauté Parentale primitive et la Cité Propriétaire civilisée, le Matriarcat primitif et le Maritalat civilisé.

Sous le règne de la Mère et sous celui du Père, l’humanité découvrit deux Réalités et deux Mondes, elle se donna deux Sociétés et deux Mentalités (ou modes de pensée). À tous points de vues, on a deux “réalités” qualitativement distinctes et se présentant comme deux contraires directs. Pour bien insister sur ce fait, on peut dire non seulement que l’humanité connut deux Mentalités contraires, mais que l’histoire donna deux Humanités distinctes et contraires.

La Mentalité primitive fut Matérialiste, celle des civilisés fut Spiritualiste. Cela signifie qu’il n’y eut jamais de mentalité sociale “matérialiste” que chez les primitifs, que ce matérialisme n’a rien à voir avec celui des Athées civilisés, et cela pour la bonne raison que ces derniers, les Athées, appartiennent intégralement à la mentalité spiritualiste, précisément parce qu’ils ne peuvent aller plus loin que la mise en cause de “l’existence de Dieu”, c’est-à-dire s’attaquer à la forme Sujet (Personnelle) de l’Esprit Absolu, conservant par ailleurs tous les caractères constitutifs de ce même Esprit Absolu. C’est pourquoi on vit toujours les Athées bornés par le fait qu’ils ne pouvaient qu’opposer la Raison spiritualiste à la Foi en Dieu. C’est pourquoi on vit toujours la fonction objective historique des Athées se limiter à participer puissamment à la purification et au perfectionnement de l’idée de Dieu. C’est pourquoi la civilisation et le spiritualisme, qui engendrèrent l’Athéisme comme courant d’extrême gauche de la Métaphysique, ne connurent jamais de société Athée. C’est pourquoi enfin l’Athéisme entra en crise et se montra épuisé exactement au même moment où se déclara la crise de Dieu.

Le Matérialisme primitif et le Spiritualisme civilisé ont en commun de proclamer que la Réalité se résout en dernière analyse en une Substance unique active, cette dernière étant pour les uns la Matière, et pour les autres l’Esprit. Ainsi, matérialisme et spiritualisme sont également “substantialistes”. Ceci est une approche également unilatérale de la Réalité. Le Substantialisme objectif a pour expression subjective le Préjugé théorique. Substantialisme et Préjugé, voilà ce qui caractérise la mentalité des deux Humanités du passé et ce qui en fait des mentalités “préhistoriques”, solidement fondées par un côté mais néanmoins bornées et, par suite, transitoires historiquement. Le Matérialisme attaché à la croyance Superstitieuse en la Mère primitive, ne buta sur sa limite qu’une fois que l’idée de Matière active fut élevée à son état de pureté parfaite, en Égypte, Chaldée, et en Chine. C’est alors seulement que s’imposa la nécessité de basculer dans le substantialisme inverse, celui de l’Esprit, autrement dit de passer au Spiritualisme attaché à la croyance Religieuse au Père civilisé. À son tour, l’idée d’Esprit actif arriva finalement à son état de pureté parfaite avec le Déisme des Modernes ; ceci annonçait la Crise prochaine de la Religion et, avec celle-ci, la crise générale des deux mentalités du passé, fondées ensemble sur le Substantialisme et le Préjugé (préjugé Mythique pour les primitifs, préjugé Dogmatique pour les civilisés). Marx apparut à ce moment crucial de l’histoire humaine du monde et, à l’heure présente, la fracture ouverte apparue en 1845 dans la mentalité humaine n’est toujours pas guérie.

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Deux remarques “techniques” :

• En traitant du Matérialisme primitif, de la Mère Fondamentale, nous ne pouvons qu’utiliser la langue civilisée, adaptée à la mentalité spiritualiste, langue qui tient toute dans l’hégémonie exercée par les auxiliaires être-avoir, les fameux “verbes d’état” absolument paradoxaux, puisque “verbe” veut dire normalement “action”. Nous sommes prisonniers de ce langage, ce qui provoque toutes les erreurs quand on l’applique au matérialisme primitif, et nous expose continuellement à de graves malentendus. Si les Primitifs sont matérialistes, ce n’est pas au sens où “notre” matière spiritualiste (jugée non-être, inerte, passive) prévaudrait chez les primitifs. Tout au contraire, puisque chez eux la source dernière de toute activité réside dans la matière, et ce que nous désignons par le mot “esprit” désigne chez eux ce qui est non-substantiel, “accidentel”. Sans cesse il nous faut prendre garde à ce piège tendu par notre propre langage, par la mentalité spiritualiste. C’est d’ailleurs le fait que chez les primitifs tous les attributs que la religion attachait à l’Esprit sont reportés sur la Matière, qui fait le bonheur des Occultistes, qui se font une spécialité de “surfer” sur cette ambiguïté. Il y a un parallèle à faire, susceptible d’éclairer la difficulté que nous avons à surmonter : quand les féministes parlent de Matriarcat originel comme régime domestique de l’humanité, le public (et elles-mêmes bien souvent !) ne peuvent s’empêcher d’imaginer qu’autrefois existaient nos Ménages privés, “mais” que c’étaient les femmes qui commandaient au lieu des hommes. En procédant de cette façon, on ne peut évidemment rien comprendre à rien, et on perd complètement son temps à avaler des tonnes de bouquins sur la question.

• Dans le bref exposé qui suit, il n’est pas question de faire une histoire de la Mère Fondamentale, mais de s’accrocher le plus possible à la forme pure finale du Matérialisme primitif, laquelle donne la clef de toute l’histoire archaïque qui reste à développer dans ses phases successives très distinctes.

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Deux Substances

L’humanité Primitive est Matérialiste. De plus, c’est la seule humanité, ou société, qui fut jamais “matérialiste”. Elle adopte le préjugé Mythique selon lequel, de manière ultime, la Réalité est constituée unilatéralement par la Substance exclusive de la Matière.

I

Le matérialisme primitif fut absolument nécessaire et fondé ; si les primitifs “adoptent” le matérialisme mental, c’est en même temps parce qu’il s’impose à eux. En se dissociant de l’animalité, en rompant avec celle-ci, c’est spontanément qu’ils saisissent la Réalité par son côté matériel et le découvrent essentiel et substance exclusive. Cependant, jamais un animal n’a découvert une essence quelconque de la Réalité, pas plus la Matière que l’Esprit. Et jamais on n’a pu poser une essence de la Réalité sans poser un rapport quelconque matière-esprit ; si bien que la Matière posée comme Substance par les primitifs est matière pensée, et ils ne peuvent penser la Matière sans poser l’Esprit, bien que ce soit comme accident nécessaire du monde. Ce qui caractérise donc la mentalité primitive, c’est de poser le rapport de la Réalité sous la forme du couple matière-esprit ; de poser la matière comme l’élément fondamental dans cette relation, et l’esprit comme l’élément accessoire.

En un mot, les primitifs apportent au monde pour la première fois une mentalité, un mode de pensée, ce qui n’est rien d’autre qu’une intelligence de la Réalité. Ceci est possible parce que les hommes travaillent en général, sous une forme ou une autre et sont les seuls dans ce cas, ce qui suppose le travail mental. Pour la première fois, avec les Primitifs, la Réalité se découvre, et elle se découvre en se polarisant au moyen de la pensée, ce qui donne le rapport hégémonique, unilatéral Nature-Humanité, en lequel l’homme se déclare constituer le pôle absolument subordonné, de la même manière qu’une Mère ne peut s’affirmer que comme absolument dépendante de la Vie universelle.

Le Matérialisme primitif représente le grand dévoilement de la Réalité, lequel coïncide nécessairement avec la première grande scission de la Réalité en matière-esprit. Ce sont donc eux qui ont en premier lieu “civilisé” le monde, si l’on prend ce terme de civilisation au sens vulgaire courant (et non au sens historique où Civilisation est indissociable de Spiritualisme). C’est là que les hommes se sont arrachés à l’animalité, que le travail le plus difficile de l’histoire humaine fut accompli. L’avènement ultérieur de la Civilisation historique, spiritualiste, n’apparaît auprès de cela que comme une suite nécessaire, une péripétie de l’histoire humaine déjà lancée, et non pas comme une origine absolue, tel que le voulut l’orgueil civilisé.

L’avènement du Matérialisme primitif fut le grand événement de l’histoire du monde, une sorte de création du Monde et de la Réalité, puisque ceux-ci se dévoilent seulement à ce moment. Cet événement qui change tout n’empêche pas qu’il faille qualifier la mentalité Matérialiste de mentalité “spontanée” de l’humanité. Dès qu’il y a des hommes, la Réalité “existe” enfin, ceci est une chose ; c’est une autre chose de dire qu’elle n’existe d’abord qu’au travers d’une mentalité “spontanée” matérialiste. Ce second aspect ne signifie rien d’autre que le caractère communautaire, parental, racial, de la pensée primitive. Ce ne sont pas des chefs d’Écoles philosophiques rivales qui proclament alors le Matérialisme comme un Dogme ; chez les primitifs, c’est la Communauté qui pense, exactement comme s’il y avait un “cerveau” collectif qui déterminait les conceptions de chaque membre de la grande Famille liée par le Sang. C’est ce seul point que souligne le caractère “spontané” de la mentalité primitive. Ceci ne remet nullement en cause l’abîme creusé alors entre l’homme et l’animal. Ce qui peut seulement nous égarer à ce propos, c’est le préjugé civilisé ; c’est que relativement aux civilisés, les primitifs apparaissent incomparablement plus près de la Nature, et d’autres détails comme la revendication des primitifs d’avoir pour Ancêtre un bélier ou un vautour. Ceci ne doit pas faire illusion : seuls les hommes travaillent et vivent en société et peuvent donc s’obliger à une subordination à la Nature (une auto-domestication) et se prescrire un Totem. Seuls des darwiniens païens de la race des Letourneau peuvent nous en imposer avec leur répugnante “théorie” des “sociétés animales”. Quelle tristesse d’avoir à mettre les points sur les “i” de nos jours sur ce sujet. S’il fallait une preuve de la Barbarie dominante et du Paganisme dominant dans notre monde qui se dit cultivé, cela suffirait...

II

Les primitifs posent la Matière comme la Substance essentielle et dernière de la Réalité. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit évidemment pas de la Matière au sens civilisé, passive, inerte, Non-Être pour-Nous et Néant pour-Dieu. Au contraire, la matière des primitifs se présente au plus haut point comme active, dynamique. Dans la misère mentale à laquelle oblige le Paganisme dominant actuel, nous voyons proliférer l’Occultisme, qui consiste dans la Mystique dégénérée, qui appartient lui-même au paganisme dominant et le creuse de manière débridée, conjointement avec l’“extrémisme” païen opposé, le Cynisme ou Athéisme dégénéré. Or, l’Occultisme, tirant parti du caractère actif de la Matière des primitifs, se rue sur ce fait de mille manières, organise l’amalgame de la Superstition primitive avec la Religion civilisée, et développe un sous-cléricalisme de Désespérés. C’est ainsi que nous voyons s’étendre depuis 150 ans la mystique Nihiliste des Occultistes. Et l’on se toque de Kabbale juive, de “spiritualité” Védique, de Shinto, de Runologie Nordiste, de Mazdéisme, de Celtisme, de Chamans d’Asie ou de Sorciers d’Afrique... L’Occultisme, comme le Cynisme, développe sa gangrène par vagues, de sorte qu’on le voit arriver périodiquement à supplanter le Cléricalisme, ce qui est caractéristique des phases d’avant-guerre, où les Usuriers et les Tueurs qui dominent la planète sont amenés à se polariser en Blocs Démocrates-Fascistes. Nous en sommes là, et au degré le plus extrême qui puisse se concevoir.

III

La mentalité primitive est la “foi” en la Mère Fondamentale, la proclamation du Substantialisme Matériel. Dans le langage inadapté qui est le nôtre, nous devons dire que les primitifs décrètent l’hégémonie de droit de la Matière sur l’Esprit.

J’ai dit que l’exaltation primitive de la Matière ne va pas sans la reconnaissance simultanée de l’Esprit, bien qu’en n’attribuant à ce dernier que le statut de Non-être au Monde, et de Néant pur en la Mère Fondamentale.

Le couple hégémonique, unilatéral, Matière-Esprit des primitifs entraîne directement les relations du même type Nature-Humanité et Corps-Âme. Le couple Corps-Âme pour désigner ce que nous appelons une Personne montre à quel point nous devons nous laver du préjugé civilisé quand on traite du monde primitif. Corps-Âme souligne justement le fait qu’il n’y a en aucune façon chez les primitifs ce que nous appelons des Personnes. Des Personnes, au sens civilisé, ne se conçoivent que selon le couple inverse, Âme-Corps ! Les individus humains ne sont pas du tout pour les primitifs des “êtres spirituels”, opposés aux êtres corporels que nous nommons des Choses. Personne-Chose, Sujet-Objet, sont des relations étrangères et inverses de celles que peuvent admettre les primitifs. Pour eux, nos Personnes qui “sont” et “existent” ensuite, existent avant d’être ; ce sont des Avatars au sens des avatars de Vichnou dans l’Hindouisme. Pour les primitifs, la naissance d’un individu est une réapparition, une remise en lumière d’une existence passagèrement entrée dans l’obscurité mais qui n’a jamais réellement cessé d’“être”. D’où les “double noms” de primitifs, l’un ésotérique, grave, et l’autre exotérique, bénin. D’où encore les changements de nom exotérique au cours des phases de l’existence, liés aux fameux “rites de passage” (exemple : l’enfant d’hier admis aujourd’hui au rang de “guerrier”).

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Parenthèse à propos des couples corps-âme, existence-être, des Primitifs :

Ce que nous appelons des Personnes, c’est-à-dire des hommes privés-publics, propriétaires-citoyens, n’a aucun sens dans la Communauté primitive. Ici, il n’y a que des “représentants” de la parenté, du lignage ou de la race, qui perdurent au moyen des individus. C’est ainsi que dans l’ancien Israël, on attend le “retour” d’Élie ou la “parousie”, au sens de remanifestation de représentants d’une “fonction” traditionnelle connue, et non point du tout d’individus originaux susceptibles de naître et mourir. Les “représentants” primitifs en question peuvent seulement paraître et disparaître, être présents ou s’absenter.

Le stade suprême de cette manière d’envisager les hommes essentiellement communautaire se trouve au stade Asiate, dans la théorie de la métempsychose. Alors les représentants “purs” de la Puissance sociale font l’objet de Momification, tel le Pharaon, ce qui annule toute “absence” dudit Roi-des-Rois, Fils-du-Ciel ou Fils-du-Soleil. Le commun des mortels, au contraire, est soumis à une absence transitoire dans l’En-Deçà (l’Amenti ou “enfer” des égyptiens), où se décide quel est le degré naturel et humain de “réincarnation” devant être assigné aux “existences” diverses. Nos pseudo-penseurs répètent sans cesse que pour les primitifs, il n’y a pas de différence qualitative, mais seulement des “degrés” entre personnes et choses. Illusion totale !

Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, on peut s’appuyer en particulier sur la grande controverse sur la Trinité qui opposa dans un long dialogue de sourds les catholiques grecs et latins. Les Latins établirent que Dieu est “une Substance en trois Personnes”. Ceci nous est difficilement intelligible dans cette formulation. Il faut savoir, pour s’y retrouver, que les latins appelaient “persona” un masque de théâtre, correspondant à un “rôle” tenu dans le drame. Il s’agit donc non pas de la Personne même de l’acteur, mais du Personnage conventionnel qu’il représente. Ainsi, pour comprendre simplement la formule latine s’appliquant à Dieu, il faudrait dire qu’il est “une Personne en trois Personnages” ; en effet, “substance” est ce qui subsiste, l’être de Dieu ; et les “personnes”, au sens de personnages, sont les existences qui manifestent son être et le rendent intelligible (réserve faite du Mystère).

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La reconnaissance par les primitifs de l’existence de l’Esprit, au titre d’“accident nécessaire” au monde, fait qu’il y eut, principalement lors des Crises de croissance du matérialisme primitif, en même temps que l’essor de courants “ultra-matérialistes”, “ultra-matriarcaux”, l’essor de courants diamétralement inverses, pré-spiritualistes, pré-maritaux. Mais il ne faut pas perdre de vue que, de même que les Athées de la civilisation ne sortaient pas de l’horizon spiritualiste, les “Croyants” de la société parentale ne sortaient pas de l’horizon matérialiste. Toujours est-il qu’à long terme le courant pseudo-spiritualiste du matérialisme primitif qui minait la croyance en la Mère Fondamentale, a pu être vu comme une veine préparatoire à la révolution Religieuse (civilisée), ayant traversé toute la mine Superstitieuse (primitive). C’est en ce sens, par exemple, que les chrétiens ont pu revendiquer la Bible matérialiste d’Israël. Mais cela ne justifie pas les contresens entretenus à propos du pseudo-spiritualisme des Prophètes de Juda, même contaminés par l’Hellénisme !

IV

L’expression pratique du Matérialisme primitif est que la source propre de la Richesse n’est pas vue dans le Travail humain, mais dans la Fécondité naturelle. Cela apparaît aux civilisés comme un culte délibéré de la Paresse cultivé par les Primitifs, et cela est justifié en un sens, mais qui est tout autre que celui que s’imaginent les civilisés. Car le culte du Travail de la civilisation n’est pas étranger à la domination présente du Parasitisme Intégral ; autrement dit : notre Humanisme-Travaillisme à l’agonie se révèle tout autant borné et préhistorique que le vieux Naturalisme-Fertilisme ! Et on oublie que ce n’était pas rien que de gérer la primauté déclarée de la Fécondité sur le Travail. La Paresse Active était tout un art et elle eut une riche histoire.

Une grande étape fut franchie dans le développement du Matérialisme primitif, quand fut découverte la participation particulière du mâle à la Fécondité générale, et c’est cette même chose qui s’exprima plus tard par le culte “phallique”. Initialement cependant, cela fut acquis dès la scission entre Éleveurs nomades et Horticulteurs sédentaires. Ceci ne doit pas du tout être rattaché à ce que Engels donne pour “la grande défaite historique du sexe féminin” ; au contraire ! Évidemment, le phénomène peut paraître paradoxal, mais il fut l’occasion d’une promotion importante de la croyance en la Mère Fondamentale, et d’un perfectionnement très net du Matriarcat. Probablement que la crise qu’occasionna le passage d’une étape à l’autre donna le jour, passagèrement, à des bandes de jeunes guerriers brisant les liens du sang, pillards et “phallocrates” ; mais cela ne put être durable et ne put avoir le caractère de l’avènement du “patriarcat” au sens du Maritalat civilisé. Cette erreur de perspective, qui anticipe trop vite sur le “sens de l’histoire”, fait penser à une erreur comparable d’Engels, quand il dit que les Hellènes (gréco-romains) n’étaient arrivés qu’à l’idée d’une “religion nationale”, et que ce sont les chrétiens et bouddhistes qui, plus tard, rendirent d’actualité le “monothéisme”. Je laisse de côté la question du bouddhisme. Le christianisme, lui, fut un perfectionnement puissant du “Monothéisme”, qu’assurément les Hellènes établirent dès la première heure. D’ailleurs, “monothéisme” n’est pas un concept à conserver, étant donné que dès qu’il y a Dieu, Religion, il y a évidemment Un seul Dieu souverain, en dépit de toutes les apparences “polythéistes”. La Religion, à chaque stade où elle se purifie, relativement au stade précédent, est évidemment portée à voir le stade antérieur comme “polythéiste”. Ainsi, les Évangélistes du 16ème siècle virent dans le Catholicisme lui-même, avec ses Saints et ses Anges, un genre de polythéisme ou d’idolâtrie.

V

La polarisation de la Réalité sur le modèle Matière-Esprit, Nature-Humanité fut la forme obligée de la première Mentalité du monde, lorsque la Société se forma en rompant avec l’animalité.

Il n’est pas surprenant, et il fut trop évident après-coup, que le Matérialisme primitif fut indéfiniment inférieur au Spiritualisme civilisé qui lui dut cependant sa naissance.

En sens inverse, il est devenu nécessaire de nos jours de reconnaître la supériorité relative qu’avait le Matérialisme sur le Spiritualisme. Les primitifs proclamaient l’hégémonie de la Matière sur l’Esprit, que l’Humanité est absolument “faite pour” la Nature, que l’Homme polarise la Réalité en tant que Race. Ceci est plus fondé, en un sens, que la position directement inverse des civilisés, selon laquelle la Nature est absolument “faite pour” l’Humanité, position qui coince terriblement actuellement, sans qu’on en comprenne le véritable enjeu et qu’on en trouve la véritable issue.

Pourtant, d’un autre côté encore, tandis que le Spiritualisme soutenait une Inversion mentale esprit-matière à laquelle échappât le Matérialisme, inversion devenue maintenant totalement indéfendable, ce même Spiritualisme se montrait nettement plus cohérent. Voici pourquoi. Dans le Spiritualisme, Dieu s’élève sur le rapport Humanité-Nature en résolvant son caractère hégémonique unilatéral, par une relation directe entre Lui-même et les Hommes désignés comme ses enfants propres. Les choses se présentent autrement entre la Mère Fondamentale des primitifs et la relation unilatérale Nature-Humanité qui en émane : le lien direct alors est celui de Mère à Nature, et ce n’est que de façon médiate, par la Nature, que l’humanité rejoint la Matière-mère en tant que telle. Ceci nous fait ressortir que dans la relation Nature-Humanité, l’humanité est le côté “esprit” quoique ouvertement subordonné à la matière, et que de ce côté doit s’imposer la fécondité “paternelle”, la semence testiculaire. On comprend ainsi que les “déesses-mères” du paléolithique ne sont encore qu’une façon grossière de formuler le “Matérialisme primitif”, on comprend encore cette chose troublante, qui n’eut jamais de réponse, des “changements de sexe” intervenus dans les Puissances (“dieux”) primitives. On comprend enfin que les Puissances proprement femelles de fécondité et de vie aient pu en même temps assumer la fonction de Puissances de stérilité et de “mort”. Santé et Maladie, Paix et Guerre sont unies en ces puissances femelles. Ainsi eut-on Diane-chasseresse (nous dirions guerrière), dont l’équivalent égyptien est Swan. N’oublions pas surtout que quand on trouve chez les primitifs une puissance Virile, tel Djom égyptien (Hercule) ou le Taureau Mnévis, il s’agit toujours d’une puissance de Rut, et que tous ces mâles sont toujours fils-époux d’une Mère ; bref qu’on ne sort jamais du Matérialisme et du Matriarcat.

VI

Les Primitifs, avec leur Matérialisme, marquèrent l’avènement de l’Homme dans le Monde. Les premiers donc, et irréversiblement depuis lors, ils dévoilèrent le monde et la Réalité à eux-mêmes ; en ce sens ils firent exister, “créèrent” en quelque sorte le monde et la Réalité. Ainsi, ce sont les Sauvages, les Barbares, les “Naturels” qui changèrent le cours de l’histoire du monde, et donnèrent même au monde une histoire.

Ceci dit, depuis les Primitifs jusqu’à la Crise finale de la Civilisation, l’Histoire ne s’est encore connue que comme Préhistoire, la Réalité ne s’est encore dévoilée que par des formes Unilatérales opposées, par le biais du Substantialisme et du Préjugé. Au total, le Matérialisme et le Spiritualisme ne “valent pas plus cher” l’un que l’autre, n’ont fait que préparer une “vraie” Humanité et une “vraie” Société.

Il est inévitable qu’après-coup, là où nous en sommes, les primitifs nous apparaissent comme des Superstitieux stupides, et les civilisés comme des Religieux sectaires.

Je résume les caractéristiques des Mentalités respectives des deux Humanités qui nous ont précédées :

 

Matérialisme primitif

Mythe

Ritualisme

Tradition

Spiritualisme civilisé

Dogme

Intellectualisme

Moralisme

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Matière

C’est dans l’examen du noyau le plus “abstrait” du Matérialisme primitif qu’il faut faire le plus attention, que tout se joue, et où nous sommes le plus désorientés, exposés aux contresens à cause de notre cervelle civilisée.

Le point de départ est que les primitifs se donnent la Matière comme Substance exclusive et ultime de la Réalité, comme source de tout ce qui peut porter le nom d’Activité. Mais il faut ajouter que, de même que le Spiritualisme a son Mystère, le Matérialisme a son Secret, de sorte qu’il faut saisir la Matière elle-même comme double. Comme le Dogme de l’Esprit reconnaît lui-même qu’il est un seuil où tout dépasse la Raison, de même le Mythe de la Matière avoue qu’il est un seuil où tout dépasse l’Expérience. Aussi, par un côté, concernant la Matière en Elle-même, on dit “matière” parce qu’il faut un mot, mais le Silence conviendrait seul à vrai dire face à Elle.

Ne perdons donc jamais de vue qu’il y a deux faces de la Matière : en Elle-même et pour-le-Monde (même sans considération proprement dite du Monde encore).

• En Elle-même, la Matière est Rien Absolu, de même que Dieu (Esprit) sera Être Absolu. D’où les histoires déroutantes de la “Vacuité”, du “Néant”, des hindouistes (que l’on colle de force sur le dos des Bouddhistes !). Rapportée aux réalités du Monde, on dirait que la Matière en tant que telle est Existence absolue, Fécondité absolue, Espace absolu ; ceci pour saisir le contraste avec l’Être, le Travail et le Temps chez les Spiritualistes. Autrement dit, en la Matière comme telle, l’Esprit est (en notre langage !) Présence totale ou Être total (car c’est l’Absence qui est activité en soi !). De manière plus accessible, on peut dire qu’en la Matière pure, il n’y a que Vie, Instinct, sans aucune trace quelconque de Pensée, d’Intelligence. En un mot, dans son Secret, la Matière est Incolore objectivement et Indicible subjectivement ; elle échappe au Mythe proprement dit, mais en même temps lui donne toute sa force et en est la clef.

• L’autre face de la Matière, celle pour-le-Monde, la désigne comme l’Immanence dernière du Monde. Mais on ne sort pas encore de la dualité de la Matière indéfiniment distincte du Monde. Ce n’est pas d’une “immanence” au sens vulgaire qu’il est question (on rencontre la même vulgarité à propos de la Transcendance de Dieu). À présent, on peut seulement imaginer un nom pour la Matière, “matière” se justifie, ou en l’occurrence, Mère. Il n’empêche que cette matière exotérique, à la base du Mythe traditionnel est simplement nommable par un nom secret, qui est Tabou de tous les tabous.

Il faut ici prêter attention à deux particularités de la mentalité Matérialiste.

1- Quand on dit Matière pour-le-Monde, cela veut dire d’abord pour ce que nous nommons la Nature, et ensuite seulement pour ce que nous appelons l’Humanité (c’est l’inverse pour Dieu) ;

2- Quand on parle de “nom” tabou, interdit, c’est en réalité d’un Verbe tabou qu’il s’agit, c’est-à-dire d’un mot agissant, efficace ; c’est cela que nous représentent les “imprécations” et “malédictions” primitives. Le Verbe tabou proféré pourrait pétrifier la Nature et le Monde, fossiliser l’“existence” en “être”. Une image est donnée de ceci par ce qui arriva à la femme de Lot : transgressant l’ordre de Yaweh, à l’insu de son mari elle se retourna, ce qui la fit se transformer immédiatement en une “colonne de sel”.

La Matière pour-le-Monde possède un nom, mais est Verbe Muet. C’est la Mère Fondamentale pure et simple, susceptible de se rendre elle-même grosse du Monde, de l’accoucher et de l’allaiter. Mais en-Elle-même, qu’a-t-elle besoin d’Émaner la Vie, d’une Descendance sous la forme de l’Œuf du monde !…

La Matière ou Mère Fondamentale est cependant pour-le-Monde l’Objet Absolu, l’Océan de toute source, la Racine de tout germe, le Sang de toute vie.

La double face de la Matière apparaît très précisément dans l’Hindouisme, avec les difficultés que cela entraîne pour les exégètes pour expliquer en quoi se distingue Brahm, l’Absolu de genre neutre, et Brahmâ, l’Émanateur virtuel sexué. On voit d’ailleurs qu’aussitôt Brahmâ posé, on le trouve s’associer au couple Shiva-Vichnou pour former une triade. À ce moment, les commentateurs peuvent se convaincre qu’ils abordent le territoire “religieux” familier (bien qu’“étrange” !), et ils se trouvent à l’aise pour broder à volonté à l’intention de la clientèle friande d’exotisme oriental... Je précise au passage que, concernant le Monde Émané, pour la multitude hindouiste, la Mère Fondamentale Pârvatî l’emporte sur tout ; et que l’hindouisme ne se gêne pas pour affirmer l’hégémonie de la Nature sur l’humanité en proclamant la primauté de la matière du monde sous le nom de Purusha.

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Mère

Une fois réglé le problème de la Matière des primitifs, il n’y a plus de vraie difficulté pour explorer la mentalité matérialiste initiale de l’humanité. Ce qui fait seulement obstacle, ce sont les résistances de notre mentalité dogmatique, qui nous font sans cesse retomber dans l’ornière de l’interprétation “religieuse” civilisée ; et aussi l’intérêt qu’on peut dire “politique”, du Paganisme Intégral dominant, redoutant comme la peste que la masse populaire puisse se mettre à penser, ce qui mènerait infailliblement à le démasquer.

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La Matière en soi et la Matière comme Mère possible, susceptible d’Émanation d’un Monde, forment un couple propre, d’Immanence Secrète. Si, à présent, on aborde la Mère possible séparément de la Matière en-soi, son caractère se métamorphose en Mère effective, réellement Émanatrice, et dont émane non plus “un” monde parmi une indéfinité d’autres, mais le Monde auquel nous appartenons, que nous devons tenir en fait comme le seul nécessaire.

Tout change alors, nous quittons la Mère réellement secrète pour entrer sur le terrain de la Mère dévoilée. On peut à ce moment discourir tant qu’on veut, avec un air profond sur les diverses versions géographiques de cette Mère, et les mutations dont sa forme fut l’objet vers son perfectionnement Chronologique ; ceci n’en a pas moins qu’un intérêt mineur. Il en va de même pour Dieu, le Père spiritualiste des civilisés : qu’on aille le chercher chez les Grecs ou les Chinois, qu’on le découvre sous les noms successifs de Maître, Père ou Auteur, on n’apprend plus grand chose. Mais il faut pourtant s’en occuper le plus scrupuleusement qu’on peut, parce que c’est sur ce terrain qu’on trouve la chair même de la Mentalité étudiée.

Dès que la Matière se présente effectivement Émanatrice, réellement Mère, on voit s’affirmer les traits suivants :

• La vraie Mère, absolument Féconde, développe son caractère “sexué”, Femelle-Mâle. Notons que le Mâle lui-même, en tant qu’on lui reconnaît une participation à la fécondité, laisse les choses totalement dépendantes de la Maternité, ne fait qu’enrichir l’horizon matriarcal. D’ailleurs, fille ou garçon viennent identiquement du ventre de la Mère, et peuvent même se trouver jumeaux. Dans la conception “physique” de la Mère Fondamentale, et c’est ce qui en dénote le Secret, la Mère se donne même son propre Fils comme Époux dans l’œuvre d’Émanation, ce que ne peuvent faire évidemment les mères ordinaires. Il faut ce développement sexué explicite pour enfanter le Monde Émané, puisque le Monde se trouve grevé d’Esprit, ne saurait rivaliser avec la Mère Absolue qui est seule pure Matière. Le Monde se donne dans le couple Nature-Esprit ; cela signifie que c’est la Matière émanée “active” qui est le premier objet de l’Émanation, cet aspect se manifestant dans le pôle “Nature” ; mais il s’avère que la Nature réclame un “compagnon”, l’Humanité (la Race humaine), “accident nécessaire” spirituel de la matérialité naturelle du monde. En résumé, même dans la Nature, celle-ci n’est que matière Relative et non pas absolue.

• Dans l’Émanation du Monde, le Verbe Tabou de la Mère se révèle Parole efficace, non plus muette, mais “articulée”, proférée. De la Vulve vague de la Mère (la Yoni du Tantrisme), est donnée l’émanation explicite, l’effusion matérielle qu’est la Nature, et c’est de ce côté que se trouve le vrai Sang du Monde. Mais en même temps paraît la race humaine, en qui s’exprime le Souffle, l’Haleine (le non-néant spirituel du Monde, qui est être absolu en la Mère). Pourtant, le Monde tout entier, Nature et Humanité ensemble, forment un seul Organisme, et matière comme esprit marquent les deux côtés du Monde, bien que de façon inverse : la matière est active du côté Nature et passive du côté Humanité (seulement Non-néant chez la première, mais Non-être chez la seconde) ; et l’esprit, qui est non-être accidentel en la Nature, est non-être essentiel en l’Humanité.

• Tout se ramène au fait, au Monde, que la Matière ne s’y montre que sur le mode Relatif, dépendant de la Mère Fondamentale. C’est pourquoi la Fécondité essentielle au Monde est exposée à une Stérilité accidentelle. Et cette stérilité accidentelle, quant aux fruits de la Nature Ouvrière, ou au croît des mères humaines, est toujours une vengeance de la matière contre l’esprit fautif. L’esprit étant non-être Essentiel de l’humanité, il s’agit dans ce cas essentiellement d’un manquement de la Race humaine au respect de l’Expérience coutumière et de transgressions dans les cérémonies Rituelles.

Il faut distinguer : si on prend le Monde en bloc (Nature-Humanité ensemble) face à la Mère, il apparaît entièrement Non-existence et simple être, esprit, contingence et non pas nécessité, accidentel et non pas substantiel. Mais si on laisse de côté la Mère, dans le rapport interne du Monde, la matière prime sur l’esprit, la nature assure son hégémonie sur l’humanité, car de ce point de vue, matière et nature assurent par délégation le rôle de la Mère au sein du Monde (de même, l’espace y apparaît essentiel face au temps inessentiel : c’est pourquoi les civilisés se montreront scandalisés par les “chronologies” fantastiques des primitifs).

• Le fait que la matérialité substantielle du Monde ne soit que Relative, dérivée, “participée” de celle, absolue, de la Mère Fondamentale, rend cette matérialité “suspensive”, aléatoire. Cela entraîne des conséquences paradoxales :

- La primauté de la Nature sur l’Humanité ne vaut que jusqu’à un certain point ; au-delà de cette limite, occasionnellement, la Nature peut s’avérer “spirituelle”, immatérielle, purement temporelle, être et non point existence, stérile et non féconde, tout comme l’Humanité ;

- Au sein de l’Humanité, ce côté matériel aléatoire se trouve redoublé, de sorte que les Femmes peuvent s’avérer aussi accessoirement fécondes que les Hommes, montrer une puissance génitrice aussi faible que celle qui se trouve dans la virilité.

En effet, le monde immédiat des primitifs, “notre” monde, “l’Ici-bas” ( il faudrait dire l’Ici-Haut !), n’est pas le monde matériel tel qu’il “devrait exister”. Le monde parental ayant une existence conforme à ce qu’il devrait être, c’est l’En-Deçà (l’Enfer), où l’Instinct Vital matériel, participé de la Mère, soumet sans obstacle l’esprit mondain, la pensée toujours présente. C’est pourquoi la règle du Karma hindouiste s’applique inflexiblement, pour s’en tenir à cet exemple.

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Je résume en donnant les caractères du Monde Primitif. On peut user du tableau qui suit si on se souvient de ceci :

1) En la Mère, il y a Identité Secrète Matière-Esprit, en ce sens qu’en Elle, Matière se trouve sans trace d’Esprit. Autrement exprimé, l’Identité de la Mère est Néant-Être, en ce sens que son Néant est exempt d’Être absolument. Nous sommes heurtés par cette formulation parce que Néant a valeur positive et Être a valeur négative dans le Matérialisme primitif. Concrètement cela ne veut rien dire d’autre que la Mère est Existence au sens absolu.

 

2) La mentalité primitive est spontanément Sexualisée, puisque l’Émanation du Monde est exercice de la Puissance génitrice. Donc, il ne faut voir en aucune façon le côté subordonné de l’Homme, relativement à la Femme, comme une question “intellectuelle”.

 

3) Le Monde ne peut être envisagé correctement que comme l’union de ses deux parties, l’Ici-Bas et l’En-Deçà (visible-caché, présent-absent). Si on s’enferme dans l’Ici-bas, on ne comprend plus rien du tout. Or, chez les Primitifs, l’En-Deçà est “plus” normal que l’Ici-bas parce qu’il est plus matériel.

 

4) Chez les primitifs, on a constamment les couples œil-Gauche/œil-Droit, main Gauche/main Droite, qui sont comme Femelle-Mâle. Or, il ne s’agit pas, comme nous sommes portés à le croire, par exemple de “deux” yeux au sens de notre arithmétique (I + I). La vision, au monde, est binoculaire, elle est le fait d’une “paire” d’yeux, ce qui est différent ! Par-dessus le marché, nous greffons spontanément l’idée de “voir” sur celle de l’œil, alors que le primitif y attache avant tout l’idée d’“éclairer” comme le fait la paire des luminaires, la Lune et le Soleil.

 

5) Enfin, il y a le problème des Cataclysmes que subit la mentalité primitive. Le mot cataclysme signifie exactement “déluge”, et il s’agit bien de cela, de bouleversements de type “écologiques” que subit le matérialisme primitif. À l’inverse, le spiritualisme civilisé se perfectionna par des Révolutions cycliques, ce qui n’est pas la même chose : les Cataclysmes primitifs partent de la Nature, les Révolutions civilisées partent de l’Humanité. Les deux phénomènes n’ont pas du tout le même lien avec l’Écologie : chez les primitifs, la Démographie se répercute sur la Technologie ; chez les civilisés, c’est la Technologie qui se répercute sur la Démographie.

Toujours est-il qu’au fil des Cataclysmes successifs de la mentalité primitive matérialiste, les expressions de ce même matérialisme se trouvent bouleversées, ce qui peut nous égarer. Ainsi, on dit “La” Ciel et “Le” Lune en égyptien, mais ceci se trouve dans la langue Asiate qui nous est parvenue ; ce put être différent au stade Barbare précédent. “La” Ciel (Uranie) des Égyptiens est masculin chez les Barbares grecs, sous le nom d’Uranus. Si la théorie de la mentalité primitive est solidement établie, l’analyse de ces variations, quoique laborieuse, ne présente pas de grandes difficultés.

 

 

MONDE PRIMITIF

Nature (+)

Active/Passive

Matière

Existence

Espace

Humanité (-)

Femelle/Mâle

Esprit

Être

Temps

 

Je rappelle que l’essentiel est de ne pas tout mélanger au départ de l’examen de la mentalité primitive :

• Bien sûr, on peut prendre la Mère Fondamentale toute seule dans son Secret et, à l’opposé, compte tenu qu’elle résume une Triade qui se renferme en elle, on peut voir la mentalité en question sous quatre noms. De même, les Catholiques pouvaient dire “Dieu” tout seul, puis compte tenu de la Trinité Père-Fils-Esprit, former une quaternité en y ajoutant Dieu.

Le plus important, cependant, est d’échapper à ce dilemme, car l’Unicité pure nous laisse silencieux et dans la Docte Ignorance ; tandis que la Quaternité nous disperse, égrène des aspects qui brisent l’unité organique. C’est donc autrement qu’il faut s’y prendre.

• La Mère, prise séparément de son Monde, n’est intelligible que si on l’aborde comme un Couple, par exemple Matière-Secrète avec Mère-Matière exotérique. Ensuite, il faut laisser de côté la Matière-Secrète. Alors, Mère-Matière exotérique, mais encore seulement susceptible d’Émanation d’un monde, devient la Mère-Émanatrice effective du Monde précis existant. Mais à ce moment, c’est aussitôt dans une Triade qu’elle se dévoile, genre Osiris-Isis-Horus, ou Isis-Osiris-Thôht (Hermès). Dans le premier cas, la Mère-Secrète est Sev (Cronos) ; dans le second cas, c’est Natphé (Rhéa). Dans les deux cas, Osiris-Isis ou Isis-Osiris sont un Couple d’enfants engendrés par la Mère-Secrète.

Pour mieux éclairer encore ce point-clef, je donne maintenant deux schémas parallèles de ce qu’on trouve d’une part en Égypte, et d’autre part dans la Grèce archaïque.

 

Triade de la Mère-Émanatrice

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Précisions :

• Bouto (Nyx, Nuit chez les grecs) est la Grande-Mère, “Mère du Soleil”, Première-née, Commencement de tout, Génératrice des “dieux” grands, Ténèbres primordiales (Chaos). La Mygale, la plus grosse des araignées, aveugle, la représente ; les Égyptiens l’embaument.

Phré (Hélios-Soleil des grecs) est l’“œil” droit de Bouto, l’Aube, l’Est, et le Ciel.

Atmou (Lune) est l’“œil” gauche de Bouto, le Soir, l’Ouest, et l’En-Deçà.

Thoré (Héphaïstos des grecs), est comme un St-Esprit primitif ; enfant des deux premiers, il assure ici la fonction de Puissance Régulatrice/Coordinatrice des phases respectives de la nuit et de la journée.

• Destin, chez les grecs, est Dikè (antérieurement on le disait Nécessité : Adrastéia) “nourrice de Zeus”. Moira, Anagkè, disent la même chose.

Le Démiurge, ou “Père de Vie”, est Zeus à la Foudre, détenteur du Feu céleste, siégeant en l’En-Haut du monde, dans l’Éther, la région du Chaud.

Héra (Junon romaine) domine l’espace profane, le Monde, entre l’Éther et les Champs de l’Ici-bas (champ terrestre et maritime, ce dernier étant “le dos de la Mer”). Héra, sœur-épouse de Zeus-Démiurge (Jupiter romain) domine sur l’Air et l’Humide qui se partagent le monde et s’y combinent.

Héphaïstos (Vulcain romain) se trouve en Hadès, le tréfonds du monde, sous le “fonds” productif, utilisable, de Terre et Océan. C’est le domaine du Dense et opaque. Cet En-Deçà “s’enrichit de tout” dit-on, car toutes les existences particulières lui sont ramenées et y passent. Mais en cet En-Deçà, Héphaïstos assure le rôle de “Providence”, il détient le “Feu Artiste” qui reforge les existences appelées à la lumière.

Je signale, entre quantités d’autres versions, une autre expression du matérialisme égyptien (Amon-Ra est mari de sa mère Mouth et son propre père) :

 

Autre Triade de la Mère-Émanatrice

 

Ceci pour encourager la recherche, et ne pas désespérer de mettre un peu d’ordre dans le fatras de nos “Mythologies”. Je dois surtout établir fermement la nature, le principe de base, du Matérialisme primitif ; à partir de là, une histoire sérieuse de cette mentalité est enfin possible, et elle fournira des exemples plus corrects et significatifs que les miens. On ne peut s’étonner de cela : comment nos universitaires païens ou sataniques peuvent-ils parler de la mentalité primitive, alors qu’ils sont impuissants pour rendre compte de la Métaphysique civilisée qui nous est incomparablement plus accessible ? Ils sont totalement dépassés par les grandes controverses sur la Trinité des chrétiens mêmes, qui est l’héritage direct de l’Occident ! Ils ne savent d’aucune manière nous expliquer l’histoire de Marie, qui fut d’abord mère de Jésus et de ses frères, puis se scinda en deux “Mère de Dieu” totalement différentes, chez les grecs et les latins (Duns Scot), pour aboutir à la “mariolâtrie” répugnante des papes catho-cléricaux prêchant le Jésus-Marie-Joseph de Loyola ! Dernier exemple : les premiers chrétiens flottaient de la manière la plus manifeste, en donnant au nom de Père céleste, à la fois le sens de Dieu tout court, et celui de premier membre de la Trinité (je ne parle pas des judéo-chrétiens antérieurs à 117). Que peut bien vouloir dire “penser”, si on ne met pas au net toute une série de choses de ce genre ?

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Monde

Qu’en est-il, à présent, du Monde considéré en lui-même, qui émane de la Mère Fondamentale ayant exprimé ses Puissances (de Dieu, on a les Attributs trines) ?

Le Monde se présente évidemment lui aussi comme Un et Trine, puisqu’il est l’Image matérielle grevée d’esprit de Mère-Matière. Le principe de la Triade du Monde est qu’il est miroir-image, distingués entre elle, de Mère-Matière, et ces deux faces n’en font qu’une comme l’Émané. Comme il faut aux primitifs explorer le Monde à l’extrême, le Trois se développe généralement en Neuf ; mais alors une nouvelle Totalité se forme, la Décade à la place de la Triade, si bien que l’Ennéade (le groupe Neuf) devient le simple équivalent dans la dizaine de la Paire dans la triade. Auparavant on avait : 1 + 2 = 3 ; désormais on a 1 + 9 = 10. Ne pas oublier, en présentant les choses ainsi, qu’il ne s’agit pas d’“addition” dont résulte une “somme” ; mais bien plutôt de subdivision d’un ensemble organique. Ainsi, dans la triade (1 + 2), “1” ne figure que l’Impair, indissociable de son complément le pair (2), tandis que le véritable Un ésotérique, sans complément, s’identifie à Trois lui-même. Noter encore que si 1 et 2 forment “couple” au sein de la triade, avec hégémonie de la Paire sur l’Impair, comme Femelle sur Mâle ou Yin sur Yang, la Paire (2) prise isolément n’a rien d’un couple.

C’est dans l’ésotérisme matérialiste primitif (tout autre chose que la Mystique civilisée) développé que l’Ennéade se substitue à la Paire et la Décade à la Triade. C’est pourquoi dans l’enfance spiritualiste civilisée, Pythagore (530 A.C.) prend appui sur le nombre triangulaire 10, la célèbre Tetractys. Avicenne, de son côté, dit : tout nombre quel qu’il soit n’est autre que le nombre Neuf plus un excédent, que figure Zéro. Neuf est la plénitude maternelle immédiate du Monde. C’est pourquoi chez Dante, le nombre 9 convient à Béatrice, à l’Amour, et que l’Ennéade des Muses est donnée comme le fruit de neuf nuits d’amour de Zeus.

Le Monde matérialiste primitif ne peut se présenter que comme un immense Organisme. On put aussi bien se le représenter comme un Arbre géant impérissable comme le Cèdre, que comme un Grand Animal à la fécondité inépuisable comme une Vache. La pression spiritualiste a pu faire que cet Organisme prit la forme de l’Homme Primordial sans que cela n’ébranle en rien la perspective matérialiste. Tel fut le cas dans le Judaïsme, où l’Homme Primordial se nomme Adam Qadmon. Ceci arriva suite à la ruine de l’Hellénisme et la défaite du judéo-christianisme que consacra Saint Paul. En réaction à cela, l’ancien judaïsme produisit, d’une part le rabbinisme ritualiste qui deviendra Talmudisme proprement dit ; et d’autre part l’ésotérisme du Char (Merkavah) d’Ézéchiel, qui deviendra la Kabbale. Alors, le premier traité de ce nouvel ésotérisme juif, le Chiour Qomah “Mesure de la Dimension” de l’émanation, décrit le Monde de YhWh en s’appuyant sur le Cantique de Salomon (4ème siècle A.C.), accepté dans le canon juif au synode de Yamnia (+ 90/100), et que Rabbi Aquiba considère comme le plus saint de tous les livres de l’Écriture. Le nouvel ésotérisme juif décrit le Monde en allégorisant le passage du Cantique 5-10/16, qui décrit le Désir charnel intense qu’éprouve une paysanne pour un berger, qu’elle oppose aux avances pressantes que lui fait le roi Salomon. Pour le nouvel ésotérisme juif, la description faite du berger magnifique, le Désiré, sera le modèle d’Adam Qadmon, lui-même équivalent de l’Arbre des Puissances (Séphirot) du Monde. L’Homme Primordial, comme l’Arbre, est 10 = 1 + 9. Le patron de l’Encyclopédie Juive dit que la séphirah à la base des Neuf, Malkhût (Royaume, ou Chekhinah = Puissance Générale Manifeste), désigne un corps Féminin parallèle à lui seul, face à celui développé dans les Neuf. Il ajoute à cela que le but des ésotéristes juifs était, par leurs pratiques, de “parvenir à l’ascension, APPELÉE PARADOXALEMENT DESCENTE, vers le Char” d’Ézéchiel. En parlant de “paradoxe”, l’écrivain juif avoue qu’il ne comprend rien au matérialisme juif ! Cependant, les tableaux des correspondances des Séphirot montre bien de quoi il s’agit : l’esprit doit rechercher, par paliers, à s’éteindre en la matière, comme la tête dans les pieds et le cerveau dans le sexe. Mettons de côté la mise en sommeil des membres droit et gauche, membres du haut dans un premier temps (bras) et du bas plus tard (jambes). Il reste trois temps de la pratique ésotérique : d’abord le cœur (neschamah), féminin, Élôhim, doit être maîtrisé ; puis le torse (ru’ah), c’est-à-dire le Souffle ; et enfin les “pieds” (nefesh) c’est-à-dire le Sang vital touchant à la Terre-Mère.

Si l’on n’a pas de prévention contre le matérialisme primitif, ni de honte à le revendiquer, tout cela se comprend assez facilement. Seulement alors, tous les boniments cléricaux de notre Paganisme Intégral sur les “Trois Monothéismes” (juif-chrétien-musulman) se trouvent éventés, en même temps que les échappatoires Occultistes dont se régalent les mêmes Païens.

Une fois qu’on s’est attaché à l’idée du Monde primitif comme Organisme, du type d’un Arbre (y compris un Homme-Arbre), tout devient assez simple, cet Arbre se trouve évidemment Ramifié de Bas en Haut, de ses Racines à ses Cheveux (couronne) ; et ce déploiement se trouve Polarisé à tous les niveaux selon le couple matière-esprit, selon le modèle Femelle-Mâle, Lune-Soleil, Gauche-Droite, Humide-Brûlant, Ancêtres-Représentants, Jaune-Bleu, Immonde-Monde. Immonde-Monde équivaut à Impur-Pur, mais il faut savoir qu’Immonde-Impur veut dire Sacré, Tabou. Ainsi l’Islam a conservé un double sens à Haram, c’est ce qui est “illicite”, interdit, pour les choses ordinaires, tandis qu’on appelle la Mosquée Sacrée de La Mecque la Maison Haram.

Sachons enfin que l’Arbre du Monde est polarisé de l’intérieur à l’extérieur, comme Sève-Écorce (avec le “bois” qui lie les deux), comme de bas en haut, avec Fût-Couronne (branches au milieu). N’oublions pas enfin que cet Arbre, que nous voyons environné d’Air Ici-Bas, n’a aucune vraie existence, si on ne le découvre pris entre l’En-deçà et l’En-haut : En-Deçà où ses racines plongent dans l’Eau boueuse, et En-Haut où sa couronne va chercher la Lumière ardente.

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L’intérêt le plus direct de la compréhension correcte du matérialisme primitif c’est de percer à jour les manipulations perverses qu’en fait de nos jours l’Occultisme en vogue.

Lors de la “chute de l’Empire romain”, c’est-à-dire lors de l’Effondrement spirituel de l’Hellénisme des Anciens, la Laïcité dominante de l’époque, encore partielle, inconséquente, nourrissait l’essor d’un Occultisme qui ne faisait qu’approfondir le Paganisme. Alors, dans une concurrence débridée, on se réclama, et de la Cybèle turque, et de l’Isis Égyptienne, et du Mithra persan.

Aujourd’hui, nous en sommes à fond dans la “chute de l’Empire démocrate”, c’est-à-dire du Déisme des Modernes, qui coïncide avec la chute de la Religion toute entière. Et en ce moment, une nouvelle fois depuis 150 ans, et de manière aiguë dans le nouvel avant-guerre que nous vivons, l’Occultisme fait ses ravages, cette fois de manière totale et conséquente. Et l’on se réclame, à qui mieux mieux, du Tantra hindou, du Zen japonais, et de l’Odinisme balte.

Cybèle-Isis-Mithra n’étaient en aucune façon une solution à la crise spirituelle du monde antique (47-312), tout au contraire ; et ce fut le Christianisme qui balaya toute cette fange Occultiste-Nihiliste. Aujourd’hui, ce ne sont pas Odin, le Zen ou le Tantra qui nous sortiront de l’Obscurantisme Intégral dominant, tout au contraire ; le Réalisme matérialiste-spiritualiste est la seule lumière qui peut faire s’évaporer les miasmes de l’Occultisme Intégral.

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Humanité

Quand nous traitons de la Mère Fondamentale de l’humanité primitive, c’est bien sûr pour en arriver à nous faire une idée précise de la conception que les primitifs se font de l’Homme. Quelle signification pouvait-on donner à ce que nous appelons l’“humanité” avant la Civilisation ? Ceci ne peut être établi qu’en replaçant la question à sa place exacte au sein de l’ensemble de la Mentalité primitive.

• Pour les primitifs, toute la Réalité se résout en dernière analyse dans la Substance-Matière. Cette Substance, de façon ultime, est à ce point Secrète qu’on ne peut rien en dire, en tant que Vide ou Néant absolu. À ce titre, rien ne justifie que de la Matière émane un Monde quelconque et, par suite, une Humanité quelconque. À vrai dire, si on donne au Néant absolu un nom – Néant ou Matière, peu importe – ce n’est qu’après coup, une fois admis qu’il existe “quand même” un Monde, lequel monde est par surcroît le monde précis existant que nous expérimentons.

• Il se trouve que la Substance-Matière, bien que se suffisant, se dévoile comme Désirant épancher son Instinct vital absolument surabondant. L’Initiation Traditionnelle, au sein de la Race humaine, affirme atteindre et devoir transmettre au moins un Grand Secret de la Substance-Matière : celle-ci est Mère-Matière virtuelle, Utérus d’où sortit l’Oeuf du monde existant qui ne peut se comprendre autrement. Vis-à-vis de Mère-Matière, le Monde tout entier est le “croît” unique et sans déchet dont elle se délivra et qu’elle mit bas.

• Le Monde émané de la Mère Fondamentale ne peut être, comme Elle, qu’essentiellement matériel, maternel, fécond. Cependant le Monde n’est pas la Mère, laquelle est seule Immanence absolue. Le Monde n’est que matérialité dépendante, dérivée, seconde, matière Relative. Ceci a les plus grandes conséquences. Au Monde, il n’est de Matière que grevée d’Esprit, d’Instinct vital grevé d’Intelligence, d’Existence que grevée d’Être. En effet, l’Existence, qui prime au monde, est déjà toute autre que le Néant absolu de la Mère. Quand nous disons que le monde est marqué d’“Intelligence” au titre d’“accident nécessaire” de l’Instinct matériel qui y préside, il faut se garder de rapporter directement et exclusivement l’intelligence à l’humanité, comme les civilisés sont tentés de le faire. Chez les primitifs, l’intelligence qui se donne comme “privation” d’instinct, marque l’Humanité seulement à un degré supérieur ; mais à un moindre degré, elle “souille” également la Nature ; de plus, l’esprit reste même présent en l’En-Deçà de notre monde immédiat où, pourtant, la Vieillesse que nous connaissons trouve à se guérir en s’y abreuvant d’Eau de Jouvence (cf. l’Hydromel gaulois, alcool d’Eau-Miel). J’insiste au passage sur le fait que nos idées de vie-mort n’ont aucune place dans la mentalité primitive.

• En émanant le monde comme matérialité Relative, la Mère le donne en totalité comme double : fécond substantiellement et stérile accidentellement. C’est ainsi que se présente l’hégémonie de la matière sur l’esprit. La relation unilatérale fécond-stérile est ce qui tient lieu, chez les primitifs de la relation bien-mal chez les civilisés. On voit que les deux relations sont complètement hétérogènes par leur contenu, et même directement inverses ; seule la forme hégémonique-unilatérale permet d’identifier les deux rapports.

On dit la même chose que fécond-stérile si on dit : fertile-aride, humide-sec, époux-veuf, organique-mécanique, vivant-inerte, sérié-désert. “Sérié” veut dire lié, attaché ; et “désert” abandonné, banni. “Époux” veut dire engagé, fiancé ; et “veuf” séparé, privé de, vide (cf. conjugale).

Ne pas oublier que, de même que les civilisés n’accordèrent jamais d’existence réelle au Mal, jugé seulement “privation” de Bien, de même les primitifs ne donnèrent pas une existence réelle à la stérilité, aridité, etc., toujours jugée comme simple “manquement” de la fécondité ou fertilité.

• Je développe quelque peu le fait que le Néant de la Mère Fondamentale ne se montre au Monde qu’au travers de l’hégémonie de la matière sur l’esprit, de l’existence sur l’être :

 

Aspect Principal

Aspect secondaire

Espace Actif immobile

Présence durable

Fécondité essentielle

Instinct vital

Nature vivante

Temps Passif sans-borne

Permanence/consistance

Travail accessoire

Pensée “légale” (Commandements)

Humanité raciale (parentale)

 

• Il est évident, pour les primitifs matérialistes, que si la Mère Désira enfanter le Monde, ce fut principalement pour donner le jour à la Nature. Mais la Nature ne pouvait exprimer la matérialité-fécondité que de manière relative ; c’est pourquoi l’Émanation “originelle” (Mythique) dut donner simultanément un Compagnon à la Nature : l’Humanité. L’Humanité fut “pondue” POUR servir la Nature, alors que chez les civilisés la Nature fut donnée comme moyen à l’Humanité pour glorifier l’Esprit.

• La mentalité spiritualiste civilisée ne nous prépare pas du tout à admettre, avec toutes ses conséquences, le fait que dans le matérialisme primitif la Nature prime sur l’Humanité. Il faut pourtant nous pénétrer de cette idée primitive qui veut que l’Humanité s’appréhende totalement comme “moyen”, “instrument” de la Nature (ceci exprimé dans notre langue civilisée qui peine à le dire). Dans le monde primitif, la Nature s’impose par sa matérialité directement Active, qui se précise dans le Réseau de ses Puissances, dans sa Fécondité Ramifiée. En s’imposant ainsi à l’Humanité, la Nature lance à l’Homme le défi de se Domestiquer lui-même, de s’Apprivoiser lui-même. Ainsi, sur la base de la reconnaissance de principe de sa Subordination à la Nature, l’Humanité primitive est appelée à conformer son Intelligence à l’Instinct de la Nature, à apprendre à faire coïncider toujours plus la première avec le second.

• Dans le Monde de la matérialité Relative des primitifs, l’Humanité est le moyen obligé de la Nature pour que Mère-Matière soit exaltée. Mais ce moyen est en même temps obstacle, de même qu’un instrument est simultanément handicap. Ceci est particulièrement le cas en ce monde-ci, par opposition à l’en-deçà mondain, où l’esprit humain se plie docilement à l’instinct naturel. Il y a quelque chose d’analogue dans le spiritualisme civilisé, mais de manière inverse : la Nature sera alors offerte à l’Humanité pour faire rayonner l’Esprit Absolu, mais en même temps Ici-bas, le corps charnel et mortel des hommes “alourdit” l’âme de ces derniers, et traduit le fait que leur penchant au Mal les tenaille.

Les choses se passent cependant très différemment dans le matérialisme primitif et dans le spiritualisme civilisé : dans le second, il y a relation directe de l’Homme au Père, tandis que dans le premier, la relation de l’Homme à la Mère passe par la médiation de la Nature. Ici donc, s’il survient la moindre Irrégularité dans la marche habituelle de la Nature, ou la moindre Parcimonie dans ses bienfaits normalement attendus, il est admis que ces phénomènes sont motivés par quelque infraction à l’hégémonie reconnue de la Nature, c’est-à-dire aux engagements précis pris par les Ancêtres, figurant dans un Code de conduite transmis oralement par la Tradition communautaire. En effet, le Secret Cosmique accessible de la Mère se fait Ésotérisme dans l’humanité raciale ; Ésotérisme qui est : Mythe-Initiation-Rituel.

C’est donc l’Homme, ou des Puissances maléfiques qu’il néglige de conjurer, qui trouble ou rend “malade” la Nature d’abord, et l’Organisme-monde tout entier ensuite. D’où les années de “vaches maigres” et les “épouses stériles” de la Bible juive.

Dans tous les cas, il y a eu Infidélité à la Loi et Transgressions aux Commandements. Ceci est très différent de l’Incrédulité quant à la Foi et les Péchés Moraux de la religion civilisée. Les conséquences, elles aussi, sont toutes différentes : chez les primitifs, il s’agit d’atteinte à l’abondance et à la régularité des fruits de la Nature, et d’atteinte à la longévité humaine et à la prolixité de la descendance. On nous dit souvent que chez les primitifs, les catastrophes ou aberrations naturelles, la mort et les maladies humaines, ne sont jamais perçues comme ayant des causes naturelles ; c’est bien plutôt le contraire qui est vrai ! C’est que les primitifs ont une idée très élevée de la Nature, mais se passent de ce que nous appelons “causes”, tant les efficientes que les finales, et les naturelles que les surnaturelles...

En revanche, ils savent très bien “réparer” leurs négligences et transgressions relatives à l’hégémonie naturelle-maternelle qui s’impose au Monde, par les Rites appropriés : cérémonies et sacrifices (qu’il ne faut en aucune façon confondre avec la liturgie et le culte Religieux civilisé).

• Je résume ce qui doit être pris en compte pour saisir le statut de l’Humanité chez les Primitifs :

- Le Monde – Nature et Humanité en bloc, et En-Deçà/Ici-Bas pris ensemble – ne pouvant s’expliquer qu’en tant qu’Émané de Mère-Matière, ne trouve de vérité que dans son essence matérielle et féconde.

- Ce même Monde, ne présentant qu’une matérialité Relative, grevée d’esprit, souligne que Mère-Matière est toute autre que lui. Vu sous cet angle de la dépendance totale, irrémédiablement enchaîné à l’esprit, il est décisivement immatériel, n’ayant qu’une “existence” suspensive, et il est entaché d’une stérilité originelle, dans sa face “Nature” même.

- Cependant, dans le rapport Nature-Humanité, la matérialité-fécondité essentielle au monde, “participée” de Mère-Matière, se montre de manière directe et active dans le pôle hégémonique qu’est la Nature. L’Humanité subordonnée à la Nature ne paraît, vis-à-vis d’elle, que Non-matière (non-Néant), être inexistant, Pensée comme sous-Instinct.

- Mais au sein de l’Humanité prise isolément, l’élément Matière dominant l’Esprit s’exprime encore puissamment à travers la primauté de la Maternité sur la Virilité, dans la base Parentale-Matriarcale de la société.

• Je donne, pour clore cette partie de l’exposé, les schémas directement inverses de la conception de la Réalité des Primitifs matérialistes et des civilisés spiritualistes : “H” désigne Humanité et “N” désigne Nature.

 

schémas de la conception de la Réalité des Primitifs matérialistes et des civilisés spiritualistes

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Parenté

Il reste un point à examiner de plus près : celui de la parenté chez les Primitifs. C’est la question-clef sur le plan théorique, mais aussi une question brûlante dans notre Barbarie Intégrale hantée par le Racisme depuis Carlyle (1841), Disraëli (1847), Gobineau (1851), Maurice Joly (1864), etc.

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• J’ai beaucoup parlé de l’Hégémonie qui domine le matérialisme primitif : hégémonie matière-esprit, nature-humanité, mère-père. Pour être complet, il faut ajouter que la mentalité primitive comporte une Hiérarchie, qui est un autre aspect de la Parenté. Nous sommes habitués à cette idée depuis qu’on ressasse la “question juive” avec la relation hiérarchique : “Israël-les Nations”, “Juifs-Gentils”, “Peuple Élu-Étrangers (Goym)”. Or, le problème est beaucoup plus large, et ce n’est pas en faisant une fixation sur la “juiverie” qu’on peut comprendre quelque chose à la véritable question qui est, précisément, celle de la Hiérarchie parentale primitive, complément de l’Hégémonie matérialiste polaire et unilatérale.

• L’humanité primitive, tout au long de son histoire de plus de 200/300 000 ans, proclame appartenir à un Organisme-Monde, à un Arbre dont toutes les branches et tous les rameaux sont fondamentalement “parents” à un degré ou un autre. Ensuite, il y a une précision donnée à la relation générale de parenté qui sera finalement décisive : c’est que la communauté humaine, avec sa parenté de Sang intelligente, est convaincue que la nature qui lui fait face, dont elle dépend avec sa simple parenté de Vie instinctive, est organiquement plus “puissante”, moins vulnérable que la “famille” des hommes. Cette unité biologique du Tout du monde, associée à la faiblesse relative de l’Humanité par rapport à la Nature, cela restera valable à tous les stades de développement du monde primitif, et ces deux traits s’accuseront même au fil du perfectionnement de la société primitive.

• Ce n’est qu’au tout début de l’histoire primitive que chaque minuscule Communauté de sang regardait toute autre horde humaine rencontrée, à peu près comme “étrangère” au sens d’une simple espèce ou variété naturelle animale parmi d’autres. Cela ne veut pas dire, notons-le, une hostilité nécessairement déclarée, puisqu’on part de l’a priori d’une parenté “par alliance” avec tout ce qui appartient à la Nature. Dans cette situation, le primitif devait cependant montrer la plus grande prudence, d’autant plus que les puissances naturelles étaient jugées plus puissantes que les puissances humaines... Et l’on n’était pas sans savoir qu’il est au monde des puissances non seulement fastes, mais aussi néfastes. C’est de ce dernier cas que relèvent, dans les mythes primitifs, les combats contre des “Géants”, Géants qui désignent ordinairement des Sauvages arriérés que des Barbares évolués eurent à soumettre (exemple : Chasseurs contre Pêcheurs, Scandinavie).

Au stade primitif initial que je viens d’évoquer, on ne peut pas encore parler de vraie Hiérarchie parentale humaine. Mais dès que la communauté de Sang s’organise à proprement parler, avec la tribu différenciée en clans (société gentilice), le départ est donné à ce processus, en même temps que l’Hégémonie sexuelle s’affirme.

• Le développement de la Hiérarchie dans l’humanité primitive se traduit par le fait que l’on reconnaît un clan à la Noblesse plus intense au sein de la tribu, ce qui va parallèlement avec la reconnaissance que l’Ethnie particulière limitée à la tribu appartient elle-même à une Race humaine plus large, distincte de la Nature.

C’est avec les Asiates que l’humanité primitive atteint son stade suprême, sa forme pure et parfaite. On eut cela en Égypte, en Chaldée et en Chine. Alors se justifie la mentalité matérialiste du type “astrobiologique” décrite par René Berthelot (1938). Ici, on a un “Empire” dont le Temple se veut “Nombril” du monde terrestre, et son Roi-des-rois, Fils-du-Ciel ou Pharaon prétend par suite avoir en charge toute la Race humaine. Pour prendre l’exemple de l’Égypte, l’Empire n’a pour domaine réel que ce qui environne l’Eau sacrée du Nil, mais le Pharaon a une parenté distincte parmi l’ethnie égyptienne : il est Fils du Feu sacré du Soleil, ce qui lui confère une souveraineté théorique sur toute la Race humaine par le biais de la Nature générale.

Du côté matériel donc, on aboutit avec les Asiates à une Hiérarchie parentale limitée : Pharaon-Égyptiens-Race humaine. Simultanément, on est parvenu à une Hiérarchie spirituelle limitée : à partir des simples prophétesses, puis la sorcellerie des Devins et Magiciens, puis les Confréries Secrètes aristocratiques, on arrive à la Caste sacerdotale et son Grand-Prêtre, attachée au Temple. Le Grand-Prêtre, maître du Calendrier, veille au Cycle de la Vie de notre monde. Rien que pour le Temple, et hors même son personnel profane, la hiérarchie égyptienne comprenait : le Grand-Prêtre (“le plus grand des voyants de Rê”) et son conseil, les “prophètes” ; puis diverses classes de “purs”.

Au total, ce qu’il faut retenir, c’est que le monde primitif développe la Parenté humaine jusqu’à combiner une Ethnie Pure fortement organisée autour du Temple du monde, qui se veut pour cela explicitement comptable du Destin de la Race humaine toute entière. Mais j’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de ce que nous nommerions une mission “politique” : le destin de la Race commune est entre les mains de l’Ethnie Élue de façon indirecte, parce que celle-ci assure la Régularité Périodique de la Nature, le Perpétuel Retour, le renouvellement dont le type est que le soleil s’absente et reparaît après chaque “lune” (nuit).

• À son apogée, l’humanité primitive s’éleva jusqu’à l’idée pure de la Matière (comme Substance exclusive) sous le nom de Néant absolu. En même temps, le matérialisme primitif accédait à la notion de Race humaine générale. Il ne faut pas oublier cela quand nous parlons aujourd’hui de “racisme”. Voyons bien surtout que la Race Humaine du monde primitif à son sommet est tout autre chose (et même directement contraire) que le Genre Humain (ou Humanité) formulé par la Civilisation spiritualiste à son apogée (Temps Modernes et étape des “Lumières”). L’idée de Genre Humain est entièrement spiritualiste, c’est celle de la société des authentiques enfants de Dieu, des Saints et Bienheureux qui règneront dans la Jérusalem Céleste sous la direction immédiate de Dieu-le-Fils (Dieu Créateur). L’idée parfaite de Genre Humain est pour cela contemporaine de l’idée pure de l’Esprit Absolu du Déisme de 1760-1795. Alors l’humanité civilisée propage l’idéal du Cosmopolitisme temporel, qui parachève l’idéal des Philadelphes des Quakers (C’est William Penn, de la Société des Amis, qui fonde Philadelphie en 1681).

L’idée pure d’Homme des Primitifs est celle de Vivant-Pensant ; l’idée pure d’Homme des Civilisés est celle de Pensant-Vivant.

L’Homme idéal des Civilisés est Personne-Genre humain, c’est-à-dire affranchi des limites d’Ici-Bas de la Nation et du Ménage, de la Patrie et du Patrimoine.

L’Homme idéal des Primitifs n’a rien à voir avec cela, puisqu’il part de la Parenté et non pas de la Propriété. Cet “idéal” (il faut bien utiliser ce mot, faute d’un autre), c’est d’abord l’idée de Race humaine générale que nous venons de voir, affranchie de la scission imposée ici-bas entre Peuple Élu (race Pure) et Étrangers de sang. Concernant le côté que nous nommons “individuel” de l’idéal primitif, il est subordonné au pôle collectif, contrairement à ce qui se passe chez les Civilisés. Et cet idéal “individuel” prend une forme qui nous déroute totalement, puisque la Personne face à la Chose, le Sujet face à l’Objet, n’ont pas de sens à cette époque. L’idéal “individuel” primitif est celui de la pure “existence” dans le sein de la Race générale mythique. Pure “existence” veut dire domination sans obstacle de tout ce qui ressemble à “l’être”, c’est-à-dire à l’esprit et à la forme “individuelle” précisément. D’où par exemple ce qui semble une énigme chez les hindouistes : l’“extinction” recherchée du Moi (du Je) dans le fameux Soi impersonnel.

Je reviens à un parallèle avec la Civilisation pour mieux saisir le problème de l’idéal “individuel” des Primitifs. En civilisation, la Personne se trouve prise dans les “cellules” privées que sont l’Entreprise et le Ménage, unités privées placées sous le signe de l’Esprit et du Travail. Chez les Primitifs, il ne faut pas du tout prendre le mot “cellule” en ce sens d’Atome civil de la société, mais rigoureusement au sens biologique, et la cellule en laquelle l’individu primitif est pris est placée sous le signe de la Matière et de la Fécondité.

- L’individu primitif de l’apogée est d’abord une Cellule d’un Organe qui la domine, cette cellule étant la Caste. Il se trouve appartenir à sa caste de manière entièrement déterminée par ses “vies” antérieures, par son Karma. La caste procure à l’“individu” un “confort” maternel total, puisque toute sa conduite y est préétablie et la “solidarité” y est totale en même temps qu’un “monopole” intangible de cet Organe dans l’Organisme social global. D’ailleurs, les Puissances matérielles invoquées alors (nous appelons cela des “dieux”) appartiennent elles aussi à des castes réglées. C’est dans cet esprit qu’on peut comprendre le chant célèbre du Rigveda du Brahmanisme, où il est dit que les quatre castes sont issues respectivement de la bouche, des bras, des cuisses et des pieds de Mère-matière (Purusha).

- Une fois engagés sur la pente “biologique”, il faut aller jusqu’au bout. Cellule d’un organe en principe, l’individu primitif se voit conduit en fait à admettre qu’il est simple Fonction de ladite cellule. La cellule elle-même n’a pas de vraie consistance, d’“être”, n’est que le support de l’“existence”, du rôle rempli par l’individu. C’est la Fonction assurée par l’individu qui arrive, chez les Asiates, à être précisée, fixée, donnée comme héréditaire. Aussi la cellule présente a-t-elle une simple existence éphémère, transitoire, tandis que la fonction perdure au travers d’un cycle indéfini, celui de la Réincarnation.

• Après que l’idéal d’Homme primitif eut été atteint, la société matérialiste se cogna dans un cul-de-sac. L’idée de Race humaine générale, associée à celle de Fonction cellulaire individuelle, était grandiose, mais elle arrivait à une impossibilité dramatique en même temps. On ne pouvait rester fidèle à cet “idéal” qu’en brisant le moule matérialiste, en faisant sauter le carcan parental, en retournant totalement l’ancienne perspective maternelle, pour repartir comme à zéro sur une base diamétralement opposée, celle du maritalat, de la propriété et du spiritualisme. Cela seul donne la clef du soulèvement de Bouddha, de son Éveil. Il fallait pour cela que l’“increvable” matérialisme primitif fut entré dans une Crise générale qui le fasse ressentir comme la Malédiction même. Mais la civilisation spiritualiste ne se fraya pas un chemin sans mal ! Le rejet violent de Bouddha de l’Inde et son demi-échec en font foi...

• L’idéal humain des primitifs resta un “idéal”. Mais on peut en dire autant de l’idéal Civilisé d’Humanité-Personne : nous avons toujours des Ménages et des Entreprises, des Nations et des Gouvernements ! Dans notre Barbarie Intégrale dominante, toutes ces vieilles “structures”, quoique malades au dernier degré, sont maintenues “de force”, ce qui signifie simplement que le Peuple mondial ne s’est pas encore montré capable de s’en guérir.

Mais les idéaux primitifs et civilisés ne furent pas qu’une fantaisie, puisque l’idéal “irréalisable” des premiers se mua en l’idéal du second, qui gouverna théoriquement, mais “effectivement” toute la marche de la civilisation. De même, l’idéal “impossible”, “utopique” de la Civilisation s’est mué depuis 150 ans en l’objectif tout à fait réaliste du Communisme.

• Il est à peine besoin, pour conclure, de signaler à quel point, quand il est question de nos jours de “racisme” et d’antisémitisme, tout le monde triche : les fascistes trichent, les démocrates trichent, et les juifs trichent ! Les Racistes fascistes ne veulent pas, et ne peuvent vouloir de Race humaine générale ; les Maçons démocrates mènent la guerre contre l’“utopie” du Genre humain de la civilisation spiritualiste ; les Juifs sionistes manifestent la présence Raciste au sein de la démocratie Maçonnique, de même que l’Écologisme et l’Héroïsme soi-disant “universels” du “Socialisme national” manifestent la présence Maçonne-démocrate au sein du Racisme. Il n’est question, dans tout cela, que de la putréfaction civilisée et de l’agonie de la préhistoire humaine.

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Avertissement :

Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :

"Les murs ont des oreilles...".